jeudi 26 juillet 2018
> Le poème du jeudi (#63)
Chanson pour Baby-O, à naître
Mon ange
quand tu sortiras
tu trouveras
une poète ici
pas tout à fait le choix idéal
Je ne peux pas te promettre
que tu n’auras jamais faim
ou que tu ne seras jamais triste
sur ce globe
détruit
brûlé
Mais je peux t’apprendre
mon chéri
à aimer assez
pour te briser le cœur
à jamais
/
Diane Di Prima, in Beat Attitude (Femmes poètes de la Beat Generation). Bruno Doucey, 2018. Traduit de l’américain par Annalisa Mari Pegrum et Sébastien Gavignet.
jeudi 19 juillet 2018
Le poème du jeudi (#62)
C’est à vous
que je parle, homme des antipodes,
je parle
d’homme à homme,
avec le
peu en moi qui demeure de l’homme,
avec le
peu de voix qui me reste au gosier,
mon sang
est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il
ne pas
crier vengeance !
L’hallali
est donné, les bêtes sont traquées,
laissez-moi
vous parler avec ces mêmes mots
que nous
eûmes en partage –
il reste
peu d’intelligibles !
Un jour
viendra, c’est sûr, de la soif apaisée,
nous
serons au-delà du souvenir, la mort,
aura
parachevé les travaux de la haine,
je serai
un bouquet d’orties sous vos pieds,
- alors,
eh bien, sachez que j’avais un visage
comme
vous. Une bouche qui priait, comme vous.
Quand
une poussière entrait, ou bien un songe,
dans
l’œil, cet œil pleurait un peu de sel. Et quand
une
épine mauvaise égratignait ma peau,
il y
coulait un sang aussi rouge que le vôtre !
Certes,
tout comme vous j’étais cruel, j’avais
soif de
tendresse, de puissance,
d’or, de
plaisir et de douleur.
Tout
comme vous j’étais méchant et angoissé
solide
dans la paix, ivre dans la victoire,
et
titubant, hagard, à l’heure de l’échec !
Oui,
j’ai été un homme comme les autres hommes,
nourri
de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j’ai
aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai
acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon
terme. Le dimanche j’allais à la campagne
pêcher,
sous l’œil de Dieu, des poissons irréels,
je me
baignais dans la rivière
qui
chantait dans les joncs et je mangeais des frites
le soir.
Après, après, je rentrais me coucher
fatigué,
le cœur las et plein de solitude,
plein de
pitié pour moi,
plein de
pitié pour l’homme,
cherchant,
cherchant en vain sur un ventre de femme
cette
paix impossible que nous avions perdue
naguère,
dans un grand verger où fleurissait
au
centre, l’arbre de la vie…
J’ai lu
comme vous tous les journaux tous les bouquins
et je
n’ai rien compris au monde
et je
n’ai rien compris à l’homme,
bien
qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer
le
contraire.
Et quand
la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je
prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,
je puis
vous dire à cette heure,
elle est
entrée toutes en mes yeux étonnés,
étonnés
de si peu comprendre –
avez-vous
mieux compris que moi ?
Et
pourtant, non !
je
n’étais pas un homme comme vous.
Vous
n’êtes pas nés sur les routes,
personne
n’a jeté à l’égout vos petits
comme
des chats encor sans yeux,
vous
n’avez pas erré de cité en cité
traqués
par les polices,
vous
n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les
wagons de bestiaux
et le
sanglot amer de l’humiliation,
accusés
d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un
meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant
de nom et de visage,
pour ne
pas emporter un nom qu’on a hué
un
visage qui avait servi à tout le monde
de
crachoir !
Un jour
viendra sans doute, quand le poème lu
se
trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien !
Oubliez-le, oubliez-le ! Ce n’est
qu’un
cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait,
avais-je donc le temps de le finir ?
Mais
quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui
avait été moi, dans un autre siècle,
en une
histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous
seulement que j’étais innocent
et que,
tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais
eu, moi aussi, un visage marqué
par la
colère, par la pitié et la joie,
un
visage d’homme, tout simplement !
1942
/
Benjamin
Fondane, in Préface du recueil L’Exode.
La fenêtre ardente, Veilhes, 1965.
jeudi 12 juillet 2018
Le poème du jeudi (#61)
L’endroit
L’endroit où les poules enfarinées
s’installaient pour pondre les œufs du petit-déjeuner
et où elles faisaient frire leurs crêtes couleur de bacon au soleil
a disparu.
Vous connaissez cet endroit —
dans la haie d’aubépines
près de l’arbre en clayon
près du chemin de fer.
Je ne me rappelle pas ces choses
— elles se souviennent de moi,
non pas comme d’un enfant ou d’une femme
mais comme de leur ultime prétexte
à s’attarder, à ne pas mourir tout à fait.
/
Janet Frame, In Douze poèmes, La Revue de Belles-Lettres, 2017, N°2. Traduit de l’anglais (Nouvelle Zélande) par Paol Keineg.
vendredi 6 juillet 2018
Poème du jeudi (#60)
Éternité
A l’ombre du citronnier
Une table se dresse
Au retour de la plage.
La limonade
A la saveur vanillée
De l’enfance.
Comment peuvent-ils mourir
Ceux qui s’endorment chaque soir
Sous un jasmin à Sidi Bou ?
/
Moëz Majed, in Duos, 118 jeunes poètes né€s à partir de 1970. Anthologie dirigée par Lydia Padellec. Bacchanales N°50. 2018.
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