« En cette période de rentrée où tout le monde se croit obligé d'acheter des choses nécessaires qui sont parfaitement inutiles, nous conseillons la lecture d'un guide où sont exposés des objets inutiles parfaitement nécessaires. »
C’est ainsi que Jérôme Garcin invitait à lire, en septembre 2009, les Inventions nouvelles et dernières nouveautés de Gaston de Pawlowski, qui venait de paraître chez Finitude. Une sélection d’«inventions» d’un écrivain, chroniqueur et journaliste du début du siècle dernier qui figurait en bonne place dans l’Anthologie de la littérature oubliée publiée en 2007 par le collectif Monsieur Toussaint Louverture. Oublié et à redécouvrir, donc. Ces jolies trouvailles sont tout droit issues de l’esprit fumiste fin de siècle dont Daniel Grojnowski s’est fait l’exégète et le collecteur... Certes les inventions de Pawlowski n’ont jamais été primées au concours Lépine ; mais elles égalent souvent les meilleurs billets d’Alphonse Allais et préfigurent par petites touches d’autres courants ou principes d’écriture qui vont du dadaïsme aux jeux oulipiens en passant par le surréalisme.
Une fois passées les amorces convenues qui introduisent souvent de façon réaliste les inventions de Pawlowski («la presse nous annonce que...», «récemment l’Académie des Sciences…»), on se laisse vite embarquer dans l’avalanche des propositions qui nous sont faites. Chacun retiendra celles qui l’amusent ou le déroutent le plus, en oubliera quelques autres.
Personnellement, si je reste assez peu sensible au papier tue-mouche appliqué sur les crânes lisses (mais peut-être est-ce là la marque d’un orgueil blessé) ou aux boucles d’oreille réveille-matin, j’avoue mon enthousiasme pour d’autres aménagements tels que le « le train à bestiau à intercommunication », dont les wagons sont séparés par des soufflets… Les soubresauts du train mettent en mouvement ces soufflets conçus pour émettre un son semblable à celui de la vache et ...
« le veau, charmé, croit entendre la voix de sa mère : il se tait et écoute ».
Mais ce n’est pas tout :
« Un réservoir à lait placé au-dessus du wagon alimente la lampe, dite lampe-Apis. Tout naturellement, l’attention des veaux est attirée par cette mamelle lumineuse qui pend au plafond. Ils lèvent la tête vers elle et se consolent en tétant durant les longs parcours, sans préjudice du mugissement maternel assuré par les accordéons de l’intercommunication ».
Toutefois, ne nous y trompons pas, ces procédés visent au moins autant à ménager la qualité de la viande que la sensibilité des amis des bêtes...
« C’est un gros bénéfice pour les éleveurs et une consolation pour les âmes tendres »
On appréciera également « le nouveau boomerang français », « dont le bois est taillé de telle sorte que l’instrument, une fois jeté sur l’adversaire, ne revient pas à celui qui l’a lancé. On évite ainsi tout risque d’accident »
Les inventions de G. de Pawlowski prennent parfois la forme de subtils gadgets susceptibles de nous rendre le quotidien plus supportable, comme ces tickets de métro imprimés sur du papier d’Arménie qu’il convient de jeter sur des « brûle-parfum » à la sortie des stations afin d’y laisser se répandre des odeurs plus agréables qu’à l’accoutumée. Idée à retenir s’il en est…
Entre absurde et satire sociale, Pawlowski s’empare aussi des engouements et des travers de son temps. Les détournements qu’il confectionne nous permettent souvent d’observer à la loupe les mœurs d'une époque somme toute pas si lointaine que cela… Ainsi «le nouveau chapeau de dame à voile de gaze rigide »...
« Quelles que soient la vitesse du véhicule et l’absence complète de vent, le voile de gaze, soutenu par une armature en fil de fer, paraît flotter horizontalement en arrière du chapeau, donnant ainsi aux spectateurs une illusion absolue de vitesse. Cette apparence suffit à sauvegarder l’amour propre du conducteur de la voiture lorsque celle-ci ne dépasse pas le dix à l’heure. »
Ou encore «le Dogcar Westinghouse », « …petite planchette à roulette sur laquelle on pose les petits chiens de luxe pour leur éviter de marcher dans la boue et que l’on traîne au moyen d’une ficelle ».
Mais certaines inventions concernent des catégories sociales moins favorisées et l’humour se teinte vite d’une certaine âpreté… Exemple, le « nouveau dentier élastique pour familles pauvres ».
« Ce dentier, composé de trente-deux dents artificielles, est monté sur de fausses gencives en caoutchouc rouge. Il peut être utilisé alternativement par les membres d’une même famille ayant des bouches de grandeurs différentes. Suivant les nécessités du jour, les visites à faire, les démarches à entreprendre, le dentier passe de bouche en bouche et s’adapte exactement aux besoins de chacun. »
Et c’est encore sur fond de misère sociale version années 1910 que Pawlowski compose ce fait divers à la fois burlesque et grinçant :
« Sait-on que dans un quartier pauvre d’une ville de province, on vient de découvrir que les vieilles femmes étaient utilisées pour plisser avec leur front les volants de ces jupons que mettent ensuite nos élégantes, sans savoir à quel prix fut accompli cet odieux travail ? Les pauvres vieilles, en plissant leur front, travaillaient, paraît-il, avec une rapidité prodigieuse. Une plainte a été déposée contre leurs exploiteurs.
Elle nous donne de tristes précisions sur le procédé employé : le jupon est posé sur la table ; la vieille femme, fatiguée, appuie sa tête sur le volant, songe à ses ennuis et plisse le front. Le mouvement est analogue à celui d’une machine à coudre. »
Comme le signale justement un billet de l’Alamblog sur Pawlowski et ses « inventions foutraques », ces morceaux doux-amers ne sont pas sans rappeler l’esprit de Swift… On pense bien sûr à la fameuse Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’être à la charge de leurs parents ou de leurs pays et pour les rendre utiles au public, l’un des plus terribles pamphlets politiques jamais écrit… L’écrivain irlandais y dénonce la situation dramatique où se trouve son peuple au début de XVIIIème siècle par le biais d’une suggestion argumentée : la mise en place rationnelle et organisée de la consommation anthropophage d’une partie des enfants d’Irlande… (A lire ICI en français ou ICI en anglais)
Mais chez Pawlowski, la vaine pamphlétaire et la « comédie de mœurs » s’effacent parfois devant les jeux de langage et le pur plaisir des mots. C’est le cas dans cette série où, filant quelques homophonies approximatives, il nous décrit successivement plusieurs objets ou créatures pourtant bien distinctes : «la moule perlière», «la poule merlière», «la poule perlière», «la moule merlière», «les perles pour lièvres», «les perles moulières», «les merles pour lierres» et «les pierres molles pour merles»… Exercices oulipiens avant la lettre qui réjouirent d’ailleurs longtemps Raymond Queneau…
Et puisque jeu il y a, amusez-vous donc, avant de lire Pawlowski, à imaginer des définitions ou modes d’emploi possibles du «silencieux pour dames», de «l’extenseur sénile», de «la Louis XVI», du «chantier pousse-pousse», de « l'Escarfigaro» ou du «mussicide marmoréen»…
Aujourd’hui plus que jamais, le mot d’ordre général qu’on nous assène par tous les canaux est bien résumé par ce grafiti aux allures de slogan, entraperçu il y a quelque temps dans le métro sur une affiche qui arborait une cafetière géante : « travaille, consomme, crève ». L’invitation de Jérôme Garcin est à prendre au sérieux… Les joyaux d’absurdité et les beaux objets inconsommables de Gaston de Pawlowski sont de ceux qui ouvrent autrement l’appétit.
Gaston de Pawlowski, Inventions nouvelles & dernières nouveautés. Finitude, 2009.
Images : Nouvelles machines (Asteroid/Nimbus Machina) / G. de Pawlowski par lui-même
Tiens, mais je reconnais la première image !
RépondreSupprimerJe suis étonné mais ravi de constater que mes quelques illustrations inspirent encore quelques personnes.
Intéressant cet article. Je suis moi-même passionné par l'inutile indispensable.
Je tacherai de me procurer ce livre et je repasserai vous donner mon impression.
Bien volontiers ! Je suis sûr que Pawlowski pourrait vous inspirer encore d'autres images de "machines remarquables" ! Cordialement.
RépondreSupprimermerci , je vais courir m'acheter ce recueil nécessaire et utile !!
RépondreSupprimeramitiés de" l'oeilenmarche"
J'ai souvenir de la préface de l'indispensable "Catalogue d'objets introuvables" de Jacques Carelman, publié en 1969, qui établissait une filiation entre la baignoire à entrée latérale de Pawlowski et les créations de Carelman (un extrait commenté : http://mitchul.unblog.fr/2008/10/03/catalogue-dobjets-introuvables-jacques-carelman/ )
RépondreSupprimer[Heureux de la rencontre de L'oeilenmarche et de Lamarcheauxpages…
Amitiés à vous deux, en attendant les pages à l'œil !]