mardi 3 avril 2012

> Les beaux fantômes d'Iwasaki

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Fernando Iwasaki est très largement méconnu en France. S’il ne l’est pas complètement, on le doit aux jeunes éditions Cataplum (créées en février 2010), qui entendent développer leur catalogue autour de la microfiction et de ce que ce genre a de meilleur. Mobilier funéraire est le premier recueil traduit en français de cet écrivain péruvien né en 1961. Il rassemble une série de textes qui méritent le détour et dont la traduction a été mitonnée par rien moins que Denis et Robert Amutio.

De par trois des quatre exergues qui les précèdent, ces courtes histoires sont placées sous la tutelle de Poe, Lovecraft et Borges et entendent faire crépiter le bois du frisson et de l’épouvante. La quatrième citation apéritive («et maintenant ouvrez la bouche»…) est d’un anonyme dentiste et nous promet peut-être une dose d’humour homéopathique. On est surtout très vite saisi par ces courts récits qui, on le sent d’entrée de jeu, ne se résument jamais à leur chute. Car si l’on décèle bien d’une part une vaine gothique et d’autre part un goût pour les retournements qui font perdre pied, il y dans ces textes un supplément d’âme qui leur prête un ton personnel et une force vive : une touche de poésie, de mélancolie, un sourire grinçant, une façon de remuer, l’air de rien, avec une plume joliment affûtée, les peurs enfouies de l’enfance et la mémoire des morts.




On pourrait s’interroger sur l’influence que le parcours généalogique et migratoire de Fernando Iwasaki aura peut-être eu sur sa production littéraire. Né au Pérou en 1961, il est d’ascendance japonaise par sa lignée paternelle, d’origine italienne et équatorienne sur le versant maternel et sévillan d’adoption depuis la fin des années 80. Il a d’ailleurs signé un texte qui annonce la couleur : Mi poncho es un kimono flamenco… On cherchera volontiers dans sa prose quelques traces de cette confluence interculturelle. La trouvera-t-on dans la présence récurrente d’un christianisme perverti, diabolisé ou malmené par des esprits peu catholiques ? Dans la réappropriation de certains rites mortuaires précolombiens ? Dans une forme de réalisme onirique qui n’est pas sans rappeler certains textes de Tanizaki ? Après tout, le lecteur est un peu maître à bord et il lui est loisible de flâner et de supputer… Mais peu importe finalement les hypothétiques ingrédients qui ont pu entrer dans la recette de Mobilier funéraire. Le plat est là, amer et savoureux.

Les histoires s’égrènent comme les perles d’un chapelet, dépassant rarement une page. Chacune d’entre elles a un air de famille avec celle qui la suit ou la précède, mais fait pourtant vibrer une petite note qui n’appartient qu’à elle.

Ici on trouve une congrégation de nonnes pieuses et recluses qui se transforment en chiens carnassiers dès qu’un visiteur s’introduit dans le jardin du couvent. Là un vampire pré-pubère dont les dents de lait ruissellent de sang mais qui fait songer à un agneau pascal lorsqu’on l’égorge. Dans Father and son, on découvre un père qui porte malheur à son fils au point de l’entraîner dans les tiroirs de la morgue le jour même de son décès. On assiste alors au cauchemar d’une sorte d’impossible « meurtre du père » :
«Je ne peux pas le voir à cause du linceul mais je sens la densité de sa présence, l’indifférence de sa rigidité. Si un curieux nous découvrait, j’aimerais qu’il ne s’afflige pas pour nous, nous sommes seulement deux morts qui portent le même nom.»



On rencontrera encore dans la commode d’une grand-mère un étrange Christ souffrant qui mourra d’être délesté de son épine de ronces et de ses clous par le pénitent qui en faisait les frais. Des morts qui se prennent volontiers pour des vivants et semblent échappés d’un rêve de Night Shyamalan. Un gamin pris au piège d’un bus rempli d’enfants-rongeurs. Des aïeuls aimants et anthropophages. Quelques livres maléfiques. Un Lazare pactisant avec Judas. Une tante défunte qui, invitée à revenir par la ferveur d’un vœu, reprend place parmi les siens mais telle qu’en son état, grouillante de vers. Un mari infidèle qui, tardivement démasqué par son épouse, se transforme en étranger aux pieds squameux.

Avec Iwasaki on est confronté à un fantastique à échelle variable qui procède d’un double mouvement contradictoire. Comme chez Buzzati, le réel nous ouvre parfois ses jardins secrets, dévoile des entailles dans lesquelles le récit s’engouffre : l’humain bascule dans l’animal, la vie dans la mort, le quotidien dans l’étrange et l’inquiétant. Mais c’est parfois le cheminement inverse qui se dessine. On est d’entrée de jeu placé dans un univers fantastique, un monde peuplé de revenants ou de monstres qui peu à peu montrent ce qu’ils ont d’humain, de proche et d’interpelant. La violence, la vraie, refait discrètement surface et fissure le cadre sécurisant d’une littérature de genre tenue à distance par l’imaginaire. Les nonnes gothiques, les vampires, les inquisiteurs cruels et les fantômes surnuméraires ne sont que les masques fragiles que portent nos plus proches semblables et nos peurs les plus intimes. La figure du père assassin ou de la mère dévorante n’est jamais bien loin et l’on se méconnaît souvent soi-même.

Dans ces textes très courts, rien n’est jamais complètement dévolu à l’effet d’illusion ou de surprise. Les vertiges auxquels les récits nous invitent ne sont pas inédits, les labyrinthes ont déjà été défrichés. On est pourtant surpris à chaque page par une sorte de grâce effilée, de légèreté tranchante. Et on en redemande. Comme si les figures imposées du macabre et de l’épouvante ne servaient finalement ici qu’à composer une alchimie poétique particulièrement réussie.














Fernando Iwasaki, Mobilier funéraire. Cataplum Editions. 2010. Traduit de l'espagnol (Pérou) par Denis et Robert Amutio.

Images : 1) Cavalera, Mexico (source)   2) Black nun (source)   3) Fernando Iwasaki (source)

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