jeudi 8 juin 2017

> Le poème du jeudi (#4)




MORT-NÉS

Ces poèmes ne vivent pas : c’est un triste diagnostic.
Ils ont pourtant bien poussé leurs doigts et leurs orteils,
Leur petit front bombé par la concentration.
S’il ne leur a pas été donné d’aller et venir comme des humains
Ce ne fut pas du tout faute d’amour maternel.

Ô je ne peux comprendre ce qui leur est arrivé !
Rien ne leur manque, ils sont correctement constitués.
Ils se tiennent si sagement dans le liquide formique !
Ils sourient, sourient, sourient, sourient de moi.
Et pourtant les poumons ne veulent pas se remplir ni le cœur s’animer.

Ils ne sont pas des porcs, ils ne sont pas même des poissons,
Bien qu’ils aient  un air de porc et de poisson -
Ce serait mieux s’ils étaient vivants, et ils l’étaient.
Mais ils sont morts, et leur mère presque morte d’affolement,
Et ils écarquillent bêtement les yeux, et ne parlent pas d’elle.


Sylvia Plath
in La Traversée (Arbres d’hiver précédé de La traversée), traduction Valérie Rouzeau (Poésie/Gallimard, 1999)



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