lundi 25 juillet 2011

> Mais où Descartes a-t-il donc la tête ?

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Un beau jour de 1936, Raymond Queneau, écrivain encore peu connu et encore moins fortuné, eut une bonne idée pour «mettre du beurre dans les épinards». Il proposa à l’Intransigeant, l’un des deux grands quotidiens français de l’époque, de poser chaque jour à ses lecteurs trois questions sur Paris. La rédaction du journal accepta la proposition et ouvrit à Queneau une chronique qui s'intitula Connaissez-vous Paris ? Un an plus tard, elle s’octroya même la licence de faire figurer les réponses un peu plus loin, dans la rubrique des petites annonces, «perfectionnement destiné à faire lire lesdites».
Entre le 23 novembre 1936 et le 26 octobre 1938, parurent ainsi 2102 questions-réponses, portant toutes sur la capitale de notre honorable pays et mitonnées d’une main de maître par l’auteur de Zazie dans le métro.
Gallimard en publie aujourd’hui une sélection conséquente (un quart d’entre elles) précédée en guise d’introduction d’un texte que Queneau fit paraître en 1955 dans la revue Service.
Le résultat est un recueil aussi sérieux que savoureux, composé de rappels oubliés et de découvertes étonnantes et dont le format de poche rend la manipulation familiale en bord de mer plus aisée que celle d’un Trivial Pursuit.
Quant aux Parisiens qui ne partent pas en vacances, l’ouvrage leur sera d’une utilité qui se passe de commentaires.



Saviez-vous que la rue la plus courte de Paris est la rue des Degrés, dans le 2ème arrondissement (sept mètres de longueur tout de même) ? Que la voie dont le nom comporte le plus de lettres est le square des Ecrivains-combattants-morts-pour-la-France, dans le 16ème ? Vous souveniez-vous que l’hôpital Saint-Louis fut le premier bâtiment parisien éclairé au gaz ou que la bibliothèque Sainte-Geneviève fut le premier édifice de Paris dont la structure ait été construite en fer (plus de cinquante ans avant la Tour Eiffel) ? Que seulement 57 églises parisiennes sont antérieures à la Révolution française ? Que la reine Victoria fut à Paris la seule personnalité à inaugurer la voie portant son nom ? Que Boccace est né rue des Lombards, autrefois peuplée de changeurs et de banquiers et où son marchand florentin de Père était venu «trafiquer» ?

Peut-être ne vous êtes-vous d’ailleurs jamais posé la question et n’en avez-vous après tout pas grand-chose à faire. Et bien ce n’est pas grave, Queneau en a d’autres en réserve. Beaucoup d’autres. Ce petit exercice aux faux airs germanopratins aiguisa sa plus vive attention de longs mois durant et lui procura un plaisir dont il ne s’est jamais caché. Une période, comme le rappelle Emmanuël Souchier dans sa post-face, en le citant, que Queneau évoquera avec beaucoup de nostalgie dans les années 40.

«Mon exploration de Paris pour "Connaissez-vous Paris ?" a été le seul événement marquant pour moi – le seul en tout cas qui m’ai fait plaisir ; et j’ai été long à me remettre du choc que me causa la suppression de ma chronique.»

Queneau avait trouvé là une sorte de gymnastique quotidienne, faite de recherches documentaires et de déambulations urbaines, qui lui convenait au plus haut point.

C’est que Paris était sa ville, on ne se refait pas, une ville pour laquelle il avait très tôt développé, utilisons un terme à la mode, une addiction forte. Son goût pour les explorations parisiennes est d’ailleurs prégnante dans une bonne partie de son œuvre. Que l’on pense à Courir les rues, poèmes qui sont autant de scènes quotidiennes saisies sur le vif du pavé, au tourisme décalé de Zazie, ou à l’intérêt que Valentin Brû, dans le Dimanche de la vie, porte aux monuments de Paris… Un Paris qui touchait son auteur tant par l’odeur de friture de ses fêtes foraines et le fumet des ses bas-fonds d’avant-guerre – ceux de Robert Giraud et d'Henri Calet, que par ses allures de carte postale flamboyante qu’il a aussi souvent célébrées avec humour.

On comprend dès lors qu’il ait pris le temps de se perdre aussi bien dans le Dictionnaire des rue de Paris de Jacques Hillairiet ou les ouvrages plus anciens de Jean Dumoulin ou du marquis de Rochegude, que dans les arrière-cours du XXème arrondissement…Et ce qui rend touchant ce long questionnaire, c’est bien qu’il laisse transparaître un peu de cette passion gourmande et ludique de Queneau pour Paris.

Si l’on en croit l’éditeur, on peut y aller les yeux fermés, Queneau s’assurait avec le plus grand soin de la validité des réponses qu’il apportait à ses devinettes.

Alors allons-y, chacun y fera bien quelques découvertes. On apprend par exemple qui était la Collette de la rue éponyme ; d’où vient le nom de la rue Des Envierges - où il est plus question de vignoble que de rosières - ; pourquoi la rue du Faubourg Saint-Honoré est privé de numéro 13, ou encore, à quel emplacement l’on peut trouver la statue de celui qui utilisa le premier le gaz hilarant pour l’anesthésie dentaire…



Et Descartes dans tout cela, où a-t-il donc la tête ? Et bien elle se trouve au Museum d’Histoire Naturelle, alors que son corps, lui, repose dans l’Eglise Saint-Germain des Prés. Il est de ce fait le seul philosophe dont la dépouille loge à elle seule dans deux arrondissements de Paris. Cas de figure singulier, mais dont l’auteur des Principes de la Philosophie apprécie sans doute, post-mortem, la portée symbolique. N’affirmait-il pas que l’âme et le corps sont des substances de nature fondamentalement différente et qu’ «il est possible d’avoir une connaissance claire et distincte de l’une sans avoir besoin de concevoir l’autre ?»











Raymond Queneau, Connaissez-vous Paris ? Editions Gallimard. 2011.


Images : 1) Notre-Dame de Paris (source) / 2) René Descartes (source) / 3) Raymond Queneau (source)

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