vendredi 27 juillet 2012

> Cet été, enfilez des perles...


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Voilà un petit livre qui devrait détendre tout le monde. Habituellement, les grands écrivains alimentent assez rarement les bêtisiers. Les hommes politiques font une meilleure soupe. Et bien sûr, les citoyens lambda, avec leurs réclamations diverses et variées auprès d'instances administratives dont les agents zélés ne sont pas non plus les derniers à manier la plume perlante... Sans parler du vivier que constitue la prose des jeunes prétendants aux lauriers du Baccalauréat. On trouve des sites qui leur sont dédiés et chaque mois de juin, les réseaux sociaux en font également circuler d’éloquentes extractions. Chacun jugera s’il est opportun d’en rire ou d’en pleurer… et pourra s’interroger par ailleurs sur ce que ces productions "dénaturées" reflètent vraiment…
Avec les Perles de la littérature, ce sont cette fois les détenteurs de la norme, du savoir, du talent qui passent sur le devant de la scène. Dans cet opus, Dominique Jacob a élargi deux premières sélections déjà établies en 1999 et 2000 en y intégrant notamment les recensements effectués par Pierre Ferran dans un ouvrage de 1920. L'heure de la vengeance du cancre a donc sonné et le scribouillard si souvent épinglé va enfin pouvoir se taper sur le ventre...


A côté d’écrivains un peu moins connus, on trouve en bonne place Dumas, Mérimée, Hugo, Musset, Balzac, Lamartine, Racine, Corneille, Pascal, Chateaubriand, Flaubert, Sand… la liste pourrait encore s’étendre et a de quoi laisser rêveur. C’est à croire qu’aucun grand écrivain ne s’est pas un jour pris les pieds dans les rets du langage et on a l’impression qu’il y a toujours un moment où les mots, espiègles et retors, font la nique aux Belles Lettres.

Est-ce par souci de clarté que Chateaubriand, dans son Voyage en Amérique, nous précise que «la Delaware coule parallèlement à la rue qui suit son bord», que Louis Havin nous rappelle que «Sitôt qu’un Français a passé la frontière, il entre en pays étranger» ou que Laclos, dans la lettre LXXI des Liaisons dangereuses fait dire à l’un de ses personnages : «J’en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore » ?

On appréciera ici une audace presque synesthésique de Pierre Ponson du Terrail dans Rocambole : «Il avait un pantalon de velours et un gilet de la même couleur », ou ailleurs la vigilance d’une soubrette balzacienne qui adresse cette recommandation au personnage auquel elle vient de bander les yeux : «Veillez bien sur vous-même ! Ne perdez pas de vue un seul de mes signes».

La littérature regorge donc elle aussi de perles rutilantes. Des perles de taille et de couleur variables, que Dominique Jacob a pris soin d’essayer de classer en fonction du champ thématique qui se trouve investi (la nature, le corps, la langue) ou du lieu de glissement autour duquel s’exhibe la faille (comptes et mécomptes, être et avoir été…). Chaque chapitre réserve son lot de surprises et recèle des bévues de langage aux saveurs échelonnées. C’est parfois simple et efficace, comme ces quelques citations puisées dans la rubrique "Génie de la langue" :

 Ah ! Ah ! fit Don Manoel en portugais» (Alexandre Dumas)

«Bon ! Bon ! Maugréa-t-il en silence et en bas-breton» (Ponson du Terrail)

«J’admire comme les Belges parlent flamand en français» (Victor Hugo)

Alors qu’ailleurs c’est pas excès de zèle que l’effet se délite ou que les métaphores semblent se retourner contre elles-mêmes…

«L’enfant naît, la mamelle est pleine ; la bouche du jeune convive n’est point armée, de peur de blesser la coupe du banquet maternel.» (Chateaubriand, Génie du christianisme)

On notera toutefois qu’en dehors du périmètre des pléonasmes les plus criants ou des fatales erreurs de calcul, tout n’est souvent qu’une question de dosage. Il suffit parfois d’un virage mal pris et voilà que l’oxymoron le plus subtil se mue en aberration irrésistible, que le jeu métaphorique se transforme en galimatias ou que l’expression imagée s’expose au risque fatal d’être prise au pied de la lettre. En littérature, la perle n’est d’ailleurs souvent qu’un trope un peu survitaminé, une figure de style qui a pris la tangente…

Dans sa jolie préface, Dominique Jacob s’interroge par ailleurs sur les motifs qui ont pu conduire autant d’écrivains à entrer dans la danse des fauteurs de mots. Elle pointe quelques items d’une liste non exhaustive (tiens, une perle !) : «Etourderie postprandiale, nécessité d’une cheville poétique, moment de distraction passagère, paresse de correction ou fatigue de relecture, aveuglement dû à l’esprit de parti, volonté inconsciente de ridiculiser, jubilation d’écriture, désinvolture de l’auteur payé à la lige, mémoire défaillante du feuilletoniste…»

Et voilà donc, pour notre plus grand plaisir de lecteur un rien pervers (mais que serait le plaisir sans la perversion), l’écrivain à nouveau fait homme, et qui avance en titubant sous le poids des mots.

Au cœur de ce florilège, chacun trouvera sans doute sa perle unique, son joyau préféré. En ce qui me concerne, tout bien pesé, je crois que mon suffrage irait peut-être à ce passage des Mémoires d’Alexandre Dumas père :

«Vingt-cinq mille Russes étaient rangés en bataille sur un vaste étang gelé ; Napoléon ordonna que le feu fût dirigé contre cet étang. Les boulets brisèrent la glace et les vingt-cinq mille Russes mordirent la poussière».









Pierre Ferran, Dominique Jacob, Perles de la Littérature. Editions Horay. 2012.
Images : 1)Veruschka, les perles (source)  / 3) Pingouins sur un glacier (source)


2 commentaires:

  1. recension très amusante mais, sauf erreur, la couverture semble nommer l'auteure dominique jacob, et non odile. :)

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