L’usage de la photo est le résultat d’un jeu en deux temps que l’auteur des Armoires vides a mené avec son amant d’alors, Marc Marie.
Acte 1 - Touchés par les traces matérielles que pouvaient laisser leurs ébats (vêtements éparpillés au hasard du déshabillage, chaises déplacées, repas non desservis, …) le couple décide de photographier systématiquement ces « natures mortes ».
Acte 2 - Ils sélectionnent quatorze de ces clichés et se proposent d’intervenir sur chaque image en produisant un texte séparé, les écrits de l’un ne devant être dévoilés à l’autre qu’à l’issue de la rédaction de l’ensemble des textes.
Le livre d’Annie Ernaux est à la fois le récit et le résultat de cette expérience.
Ce texte à deux voix basé sur quelques contraintes presque oulipiennes et sur un certain goût pour la mise en scène de l’intime prend une épaisseur particulière sous la plume d’ Annie Ernaux.
Chaque image est d’abord décrite et donne lieu à des réinterprétations visuelles à partir des objets en présence (une composition florale, une rose des sables, un corps inquiétant,…). Par contre, lorsqu’il s’agit ensuite d’investir le souvenir, la balle ne rebondit pas toujours là où on l’attend. La mémoire cadre plus large que prévu, l’évocation est décalée : souvenir de promenades dans une ville, d’une scène de jalousie, chansons entendues cet été là, renvoi à d’autres photographies. Autant d’évocations graves ou futiles qui semblent toujours manquer l’essentiel. Le hors champ immédiat reste souvent insaisissable ou plutôt évoqué, vérification de la célèbre intuition de Barthes, sous le signe de l’absence, de la perte, de ce qui ne peut être montré. D’où la dimension finalement tragique de ses images :
« Rien de nos corps sur les photos. Rien de l’amour que nous avons fait. La scène invisible. La douleur de la scène invisible. La douleur de la photo. Elle vient de vouloir autre chose que ce qui est là. Signification éperdue de la photo. Un trou par lequel on aperçoit l’image fixe du temps, du néant »
Ce jeu est aussi débordé, traversé et bousculé par les échos de la maladie contre laquelle Annie Ernaux se débat à ce moment de sa vie. La question de la mort, du délitement, de la fragilité du corps et de ce que l’écriture peut en dire habite la lecture faite de ses images et le regard porté sur la période auxquelles elles ont été prises.
Texte une fois encore aussi dense que limpide où Annie Ernaux, en passant par le chas d’une aiguille, semble nous ramener à des interrogations fondamentales.
Pour le plaisir, le dernier très beau paragraphe du livre : un happy end... façon Annie Ernaux :
« Je nous revois un dimanche de février, quinze jours après mon opération, à Trouville. Nous sommes restés tout l’après-midi sur le lit. Il faisait un froid glacial et lumineux. Le soir est descendu, mauve. J’étais accroupie sur M., sa tête entre mes cuisses, comme s’il sortait de mon ventre. J’ai pensé à ce moment-là qu’il aurait fallu une photo. J’avais le titre, Naissance. »
Acte 1 - Touchés par les traces matérielles que pouvaient laisser leurs ébats (vêtements éparpillés au hasard du déshabillage, chaises déplacées, repas non desservis, …) le couple décide de photographier systématiquement ces « natures mortes ».
Acte 2 - Ils sélectionnent quatorze de ces clichés et se proposent d’intervenir sur chaque image en produisant un texte séparé, les écrits de l’un ne devant être dévoilés à l’autre qu’à l’issue de la rédaction de l’ensemble des textes.
Le livre d’Annie Ernaux est à la fois le récit et le résultat de cette expérience.
Ce texte à deux voix basé sur quelques contraintes presque oulipiennes et sur un certain goût pour la mise en scène de l’intime prend une épaisseur particulière sous la plume d’ Annie Ernaux.
Chaque image est d’abord décrite et donne lieu à des réinterprétations visuelles à partir des objets en présence (une composition florale, une rose des sables, un corps inquiétant,…). Par contre, lorsqu’il s’agit ensuite d’investir le souvenir, la balle ne rebondit pas toujours là où on l’attend. La mémoire cadre plus large que prévu, l’évocation est décalée : souvenir de promenades dans une ville, d’une scène de jalousie, chansons entendues cet été là, renvoi à d’autres photographies. Autant d’évocations graves ou futiles qui semblent toujours manquer l’essentiel. Le hors champ immédiat reste souvent insaisissable ou plutôt évoqué, vérification de la célèbre intuition de Barthes, sous le signe de l’absence, de la perte, de ce qui ne peut être montré. D’où la dimension finalement tragique de ses images :
« Rien de nos corps sur les photos. Rien de l’amour que nous avons fait. La scène invisible. La douleur de la scène invisible. La douleur de la photo. Elle vient de vouloir autre chose que ce qui est là. Signification éperdue de la photo. Un trou par lequel on aperçoit l’image fixe du temps, du néant »
Ce jeu est aussi débordé, traversé et bousculé par les échos de la maladie contre laquelle Annie Ernaux se débat à ce moment de sa vie. La question de la mort, du délitement, de la fragilité du corps et de ce que l’écriture peut en dire habite la lecture faite de ses images et le regard porté sur la période auxquelles elles ont été prises.
Texte une fois encore aussi dense que limpide où Annie Ernaux, en passant par le chas d’une aiguille, semble nous ramener à des interrogations fondamentales.
Pour le plaisir, le dernier très beau paragraphe du livre : un happy end... façon Annie Ernaux :
« Je nous revois un dimanche de février, quinze jours après mon opération, à Trouville. Nous sommes restés tout l’après-midi sur le lit. Il faisait un froid glacial et lumineux. Le soir est descendu, mauve. J’étais accroupie sur M., sa tête entre mes cuisses, comme s’il sortait de mon ventre. J’ai pensé à ce moment-là qu’il aurait fallu une photo. J’avais le titre, Naissance. »
Annie Ernaux, L'usage de la photo. Gallimard, 2006
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