samedi 9 janvier 2010

> Les lignes flottantes d'Hélène Frappat







Tout commence par un lot de films de famille chiné sans intention précise aux Puces de Clignancourt par une femme dont nous ne saurons que peu de choses (elle habite rue des Deux Gares, dans le 10ème,…). Les bobines nous dévoilent des moments de vie, des fragments de l’enfance et de la jeunesse d’un premier personnage, Aurore : anniversaires, vacances, fiançailles...

A ce récit se superpose bientôt l’histoire de A., dont ont peut croire un temps qu’il s’agit du même personnage. A est une enfant triste que ses dons télépathiques encombrent et isolent, une sorte de parente lointaine de la sorcière solitaire de Marie N’Diaye. Le bruit que fait en elle la pensée vivante et ininterrompue de ceux qui l’entourent est assourdissant, la dépossède d’elle-même et lui font préférer l’éloignement. D’où cette quête aquatique récurrente, désir de paix et de mort, qui la libèrerait du vacarme des autres.

Une troisième ligne traverse encore le texte, ligne de rêves flottant, en italique, entre les deux personnages : « rêve du lac rétréci », « rêves de l’eau empoisonnée », « rêve de la montagne », … Ces rêves font souvent écho à des événements vécus par A, à ses craintes, ses désirs et nimbent ces morceaux de vie d’un halo de présages et de souvenirs. Mais qui est le rêveur ?




Dans les premières pages de ce texte se trouvent réunis une somme d’ingrédients propres à construire un récit qui semble hésiter entre plusieurs estampilles : fantastique, espionnage, psychodrame familial. Mais il n’en sera rien. Des chemins s’ouvrent pour se refermer un peu plus loin, des intrigues s’amorcent et se délitent. Ainsi le film d’Aurore, qui prend fin alors qu’elle entre dans l’âge adulte, aurait pu trouver une suite, donner lieu à des investigations de la part de la spectatrice attentive de la rue des Deux Gares :

« Vous auriez consulté avec appréhension les pages des faits divers, à la recherche d’une tragédie qui aurait bouleversé la vie d’une famille française bourgeoise. Vous y auriez usé votre vie, votre imagination et votre mémoire. »

Le récit joue avec ses propres renoncements, ses développements possibles et avortés, tout comme cette part de lui-même où le rêveur évoque une mémoire au conditionnel passé :

« Ces jours et ces nuits qui auraient pu naître, flottent, inutiles, sinon comme l’instrument de la rêverie ou du chagrin, dans une zone de ma vie qui n’est pas la mémoire, sauf à me souvenir de ce qui aurait pu être, et – en compagnie de ce qui a été – n’est plus ».

Pourtant le lecteur ne se sent jamais ni trompé ni frustré mais sollicité autrement, comme invité à lire à son tour "par effraction".


Hélène Frappat a tissé un texte insolite et fragile où la narration se dilue lentement dans un jeu de miroirs et de silences. On y entend finalement une voix singulière et de belle tenue.

Hélène Frappat, Par effraction. Editions Allia, 2009

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