jeudi 26 décembre 2019

> Le poème du jeudi (#137)



Ils se moquaient tout le temps de moi
parce que je n’avais pas de cartable
portais des vêtements usagés
m’endormais pendant les cours
parce que mon père ne priait pas
et la maison que nous habitions était petite et lugubre
parce qu’une fois aussi j’ai dessiné
sur le dos de ma mère une fenêtre
qui donnait sur nulle part

.../...

La mort nous menace chaque jour
et jusqu’ici nous n’avons rien commencé
ainsi sommes-nous depuis l’enfance
pas une fois je n’ai vu entre tes mains autre chose
qu’une poupée sans jambes
tu m’auras vu tant de fois
tirant des pierres sur mon cerf-volant
pendu aux câbles électriques
j’aurais tant aimé dessiner des cœurs
avec la buée
quand tu étais face à moi à la maison
une fenêtre nous séparait
mais nos fenêtres n’avaient plus de vitres

/

Ali Thareb, in « Un homme avec une mouche dans la bouche » (extraits), Revu N°6 (La Faille), mars 2019. Traduit de l’arabe (Irak) par Souad Labbize.




jeudi 19 décembre 2019

> Le poème du jeudi (#136)




**

Pas de langue à délier
De foule à convoquer
Pas d’abri abritant
Quelques point perdus
Suspendus
Pas de langue couramment
Au ciel articulée
Reste au sol
Seul
Un corps dessaisi
De son propre mouvement

**

/

Marine Gross, in Festival Permanent des Mots, juillet 2016.

jeudi 12 décembre 2019

> Le poème du jeudi (#135)




Tout à beau se replier
                    un mécanisme clignote
                    encore

                    à intervalle
déraisonné

au pays du cœur
plus grand que nous

/

Florence Valéro, in Où je dors de te méconnaître. L’Arbre à paroles, 2019.

jeudi 5 décembre 2019

jeudi 28 novembre 2019

> Le poème du jeudi (#133)




Fêtes de la faim

Ma faim, Anne, Anne,
Fuis sur ton âne.

Si j’ai du goût, ce n’est guères
Que pour la terre et les pierres.
Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l’air,
Le roc, les terres, le fer,
Charbons.

Mes faims, tournez. Paissez, faims,
Le pré des sons !
Attirez le gai venin
Des liserons ;

Mangez les cailloux qu’un pauvre brise,
Les vieilles pierres d’églises,
Les galets, fils des déluges,
Pains couchés aux vallées grises !

Des faims, c’est les bouts d’air noir ;
L’azur sonneur ;
— C’est l’estomac qui me tire,
C’est le malheur.

Sur terre ont paru les feuilles :
Je vais aux chairs de fruit blettes.
Au sein du sillon je cueille
La doucette et la violette.

Ma faim, Anne, Anne !
Fuis sur ton âne.
 
(Août 1872)

/

Arthur Rimbaud, in Poésies complètes. Vanier, 1895.