jeudi 28 mars 2019

> Le poème du jeudi (#98)




Si j’avais su ce qu’il en coûte
d’un doigt de vin
d’un doigt de sang


Si j’avais su ce qu’une route
peut coûter
de pas aux mourants


Si j’avais su l’odeur des voûtes
quand vient le vent
le souple Nom


Si j’avais su ce qu’on se dégoûte
d’être innocent
après vingt ans


Si j’avais su qu’après la croûte
vient la blanche mie
des moissons


Si j’avais su
qu’aurais-je fait
pour être cru.

/

Jean Cayrol, in Chacun vient avec son silence (Anthologie). Points. 2009.


jeudi 21 mars 2019

> Le poème du jeudi (#97)




Berceuse : la ville

Dors mon cœur, dors bien :
les lumières du port lustrent les quais sans repos.
des voitures de police cafardent le long des rues étroites ;

des tôles grinçantes des baraques
la violence est rejetée comme une loque pleine de punaises
et la peur est immanente comme le son
dans la cloche frappée par le vent ;

la rage de ce long jour s’épuise du sable aux rochers ;
mais pour cette nuit qui respire au moins,
mon pays, mon cœur, dors bien.

/

Dennis Brutus, in Poèmes d’Afrique du Sud. Actes Sud, 2001. Traduit de l’anglais par Katia Wallisky.

jeudi 14 mars 2019

> Le poème du jeudi (#96)




  Oh mon Dieu oh mon Dieu oh mon Dieu tout devait-il toujours être rond et tourner en rond et encore en rond. Que pouvait-elle faire sinon se rappeler que les montagnes étaient si hautes qu’elles pouvaient tout arrêter.
  Mais elle ne pouvait pas continuer à se rappeler et à oublier bien sûr que non mais elle pouvait chanter bien sûr elle pouvait chanter et elle pouvait pleurer bien sûr elle pouvait pleurer.
  Oh pleurer.

 /

Gertrude Stein, in Le monde est rond, Points Seuil, 2018. Édition bilingue, traduction de l’américain revue par Anne Attali.

jeudi 7 mars 2019

> Le poème du jeudi (#95)




chaque fois que tu
parles à ta fille
tu lui hurles après
par amour
tu lui apprends à confondre
colère et bienveillance
ce qui semble être une bonne idée
jusqu’à ce qu’elle grandisse pour
faire confiance à des hommes qui la
blessent
parce qu’ils te ressemblent tellement


-   aux pères qui ont des filles



Rupi Kaur, in Lait et Miel. Éditions Charleston, 2017. Traduit de l’américain par Sabine Rolland.