jeudi 28 décembre 2017

> Le poème du jeudi (#33)



Je me lève, je vois
Que notre barque a tourné, cette nuit.
Le feu est presque éteint.
Le froid pousse le ciel d'un coup de rame.


Et la surface de l'eau n'est que lumière,
Mais au-dessous ? Troncs d'arbres sans couleur, rameaux
Enchevêtrés comme le rêve, pierres
Dont le courant rapide a clos les yeux
Et qui sourient dans l'étreinte du sable.


Yves Bonnefoy, "La pluie sur le ravin", III. In Les planches courbes. Mercure de France. 2001.

jeudi 21 décembre 2017

> Le poème du jeudi (#32)


Malgré l'air
et le mouvement des poumons
rien ne respire


On ouvre la clef


On trouve à l'intérieur
quelques yeux d'épervier


À l'intérieur de la clef
le temps n'achève pas le passé

/

Patrick Watteau, in Le Nuage et le Vent. Revue NUNC / Éditions de Corlevour. 2017.

jeudi 14 décembre 2017

> Le poème du jeudi (#31)




Si je n’y suis lors mon tout est un rien,
Mon œil plein d’eau, de maux me fond en pleur ;
Et si c’est là le beau but de mon heur,
Que je tiens cher : car c’est mon plus grand bien.

Long temps y a que je me dy fort sien ;
Et que je n’ay que fers, que feu au cœur ;
Mais las ! Je crians, par ma foy j’en ai peur,
que son sens vif ne soit onct joinct au mien.

Or soit ou non, je te veux, je te prends,
Ton teinct sans fard plaist au jour de mes ans,
Et ton beau corps si coint, si gay, si doux,

Dont je te quiers, ni pour mon fiel, mon dueill ;
S’on me faict tort, un clin de ton bel œil
Me tost à bas le plus dur de mes coups.

 /

Marc Papillon de Lasphrise, L’Amour passionnée de Noémie, pièce XLVIII (1597). Premier sonnet de monosyllabes recensé dans la littérature française. Cité dans : Alain Chevrier, La syllabe et l’Écho (histoire de la contrainte monosyllabique). Les Belles Lettres, 2002.

jeudi 7 décembre 2017

> Le poème du jeudi (#30)




CHARME

Quand parfois aux yeux d’une fille
Une ombre nocturne surgit,
Grand-mère, de son bréviaire,
Tire vite un grain de magie.

« Nourris d’orgelets une poule
quand en ville règne la faim,
Chère enfant, et jamais tes yeux
D’orgelets ne seront atteints. »

Dans ton bréviaire, ô mon aïeule,
Tu as peut-être d’autres charmes
Qui pourraient protéger mes yeux
D’une lourde et brûlante larme ?

/

Myriam Ulinover, in Anthologie de la poésie yiddish, Poésie/Gallimard, 2000. Traduction de Charles Dobzynski.