dimanche 30 décembre 2012

> Finir l'année (et les restes) avec François Tison

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Par ces temps de fête où le cycle de l’obsolescence et de la surconsommation s’emballe plus que jamais, il serait dommage de finir l’année sans évoquer Farcissures, la pépite de François Tison parue aux éditions Allia. Voilà un petit livre drolatique, politique et bigrement carnavalesque.

«Non, les choses, je veux parler des choses au sens large, bien sûr, il s’agit précisément de les célébrer dans leur majeure partie, dans tout leur néant, c’est-à-dire, un néant tout relatif et sans prétention, puisqu’elles s’en arrachent un moment sans grand effort et y retournent sans grande douleur, mais laissons ça, il s’agit de célébrer dans la joie et l’indifférence qu’il mérite le transitoire, le fugitif, le vagabond, le banni, il s’agit de lui rendre sa juste place, sans discriminer entre les biens de consommation périssables et le reste, les fruits et légumes, le cadre de vélo plus si plan, le détenu, l’écolier, son maître et l’urne funéraire, sans médiocre, sans conformiste aversion pour le jus de compost ou pour la merde.»



Cet appel à la réhabilitation du périmètre de déliquescence de notre environnement n’est pas sans faire écho à la généreuse exploration domestique qu’ Eugène Savitzkaya conduisait dans l’un de ses récits, En vie, dont nous avons déjà parlé. Sauf que le cadre du propos est ici étendu à la dimension sociétale de son objet. Cet ensemble de «Notes et propositions sur l’ordure, l’économie domestique & la richesse des nations, disposées géométriquement» prend d’abord les faux airs d’une monographie qui pourrait prolonger par quelque nouveau chemin Le miasme et la jonquille d’Alain Corbin ou la très instructive Histoire de la merde de Dominique Laporte. Mais le ton est aussi celui de la missive qu’un administré adresserait à ses élus, une sorte de note d’intention éclairée pour un projet de réforme à venir…

Bref, autant dire que le texte de François Tison est (délicieusement) insituable… Il joue constamment à se dynamiter de l’intérieur, nous rappelant peut-être qu’une seule petite lettre distingue l’ «ordre» de l’ «ordure» et que cette dernière, comme il se plaît à le répéter et à l’illustrer, est contagieuse…

Le texte, chevillé de toutes parts par un appareil critique très développé, a tous les apparats d’une thèse qui, pour subversive qu’elle soit, construit sa légitimité à coups d’appels de notes et de doctes compléments d’information. Mais ces notes (notes de bas de page, notes de marge, notes dans les notes…) ont finalement plus la vertu de nous égarer que de nous éclairer. Le fil se délite, les excroissances gagnent du terrain. Le texte se répand et, comme contaminé par son propos, s’adonne à un exercice d’autophagie et d’autodestruction exemplaire. Les notes intègrent finalement le corps du texte lui-même au point de ne plus en être dissociables. Dans une sorte de mise en abîme vertigineuse, le texte se repaît de son propre pourrissement et s’abandonne aux joies d’une désintégration toute en protubérances.



Le lecteur confiant pensait être conduit sur le sentier d’un nouveau savoir et le voilà soudain lâché au cœur d’une fête rabelaisienne. Le titre même de cet opus est secoué de nombreux bruissements. On entend «farce», «éclaboussure», et «souillure» y rime aussi avec «littérature».

François Tison a expliqué l’origine de ce terme dans un entretien accordé à Alain Veinstein sur France Culture le 3 novembre dernier. Farcissures est un terme emprunté à Montaigne. C'est le mot par lequel l’auteur des Essais désignait les «enflures» qu’il aimait faire subir à son célèbre texte à chaque nouvelle édition… François Tison laisse le sien enfler comme un abcès jusqu’au possible éclatement final – dont l’interminable index sans folio qui déroule, par pur et inutile plaisir, la liste des mots utilisés dans le livre serait en quelque sorte la dernière manifestation… Le livre explore son propre devenir-déchet et assume dans une sorte de retournement décisif la part marchande de lui-même qui le voue à sa perte…

Alors en attendant que les tripes de nos liseuses repeuplent les décharges, jetons nos meilleurs livres de papier aux ordures. Et sautons-y juste derrière, la tête la première, pour, en cochons gourmets, ne surtout rien en perdre…

Bonne fin d’année à tous !












François Tison, Farcissures. Allia. 2012.


Images : 1,3,4 : Soup,  Mandy Barker

mercredi 26 décembre 2012

> Le plat pays d'Edwin Abbott Abbott

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C’est en me promenant sur le très bon blog de la librairie bruxelloise Ptyx que j’ai découvert ce petit bijou swiftien, dont certains lecteurs plus avertis que moi ont déjà fait leur nourriture de chevet depuis longtemps : Flatland est une satire mathématique concoctée en 1884 par Edwin A. Abbott, philologue et théologien anglais à l’esprit pétillant… Cet OVNI littéraire est reparu cette année chez Zones Sensibles. Il s’agirait là, de l’avis ptyxien, d’ «un exceptionnel exercice d’édition, où tout l’objet-livre, dans son architecture comme dans ses moindres composants, participe pleinement à donner jouissivement sens à l’exergue programme de Edwin A. Abbott »

La curiosité faisant parfois mauvais ménage avec la patience, j’ai dû me contenter pour l’heure d’une édition plus ancienne, la seule qu’il m’ait été donné de me procurer le jour même… Mais la traduction d’Elisabeth Gille (qui serait, semble-t-il, moins bonne que celle de Pierre Blanchard retenue pour cette réédition) donne toutefois au flatlandien néophyte un premier aperçu assez édifiant du roman de ce Monsieur Abbott au carré…



De carré, il est justement beaucoup question dans cette œuvre étonnante, puisque le narrateur en est un… Imaginez un instant ce que pourrait être notre monde s’il n’était structuré qu’autour de deux dimensions. C’est ce monde-là, le sien, que nous décrit dans Flatland, un savant carré. Dans ce pays, hauteur, volume, et profondeur n’existent pas. L’univers est un aplat euclidien d’où l’ombre est absente. Les figures géométriques qui l’habitent, pour différentes qu’elles soient (cercles, carrés, triangles, lignes droites, et l’ensemble détestable et dangereux des figures irrégulières) ne se perçoivent que depuis le même point de vue, le degré zéro du plan et donc, comme des lignes droites. Réfléchissons un instant : quelle distinction établir entre un cercle, un triangle et une ligne droite, lorsqu’il est impossible de les appréhender depuis une quelconque hauteur ? Aucune. C’est donc grâce à l’aubaine météorologique que constitue le brouillard, que l’on peut s’en sortir. C’est du seul fait d'un jeu savant de lumières et d’estompements qu’il redevient possible de deviner à qui l’on a affaire…

Et savoir à qui l’on a à faire est de la plus haute importance dans cette société hautement hiérarchisée. Tout en bas de l’échelle, on trouve les femmes, qui sont des lignes droites. Les classes inférieures sont composées de triangles isocèles. Dans la classe moyenne se rangent les triangles équilatéraux. Les carrés et les pentagones appartiennent aux professions libérales et aux Gentilhommes, quant à la noblesse, elle est constituée d’hexagones et de polygones… jusqu’à la figure parfaite du cercle qui incarne le statut indépassable de la classe ecclésiastique.

Mais Abbott ne s’en tient pas à cette seule déclinaison socio-géométrique. Il nous fait pénétrer dans le quotidien de cet univers en 2 D. Comment se rencontre-t-on, se reconnaît-on ? Comment s’aime-t-on et se reproduit-on ? Comment peut-on espérer être promu d’une classe à l’autre ? Comment ourdit-on ? De qui faut-il se méfier et pourquoi ? Comment se fait-on passer pour un autre ? Que se passe-t-il quand il pleut ? Comment construit-on son habitat ? Pourquoi faut-il avoir peur des femmes ? Comment entre-t-on dans une maison et en sort-on ? Se tresse alors sous nos yeux une savoureuse allégorie politique qui n’est pas sans refléter les substantiels cloisonnements de la société victorienne dans laquelle vivait l'auteur…



En outre, à l’instar du docteur Gulliver un siècle et demi avant lui, notre honorable quadrilatère est un grand voyageur… Il lui sera ainsi donné de se déplacer de dimension en dimension pour constater à chaque fois à quel point il est difficile de se décentrer et de s’arracher à son point de vue naturel… A Lineland, il découvre un univers en une seule dimension où tout n’est que linéaire. Les habitants de cette contrée ignorent donc, en sus de la hauteur et de la profondeur, la largeur elle-même… Dans cette vision effilée du monde ils ne peuvent se percevoir que comme des points et le contact est redouté plus que tout. Chacun reste pour toujours à la place qu’il occupe dans l’espace (la ligne) puisque sans latéralité, il est impossible de se «doubler»… Lorsque le Carré tente d’initier les Linelanders aux joies vertigineuses de la seconde dimension, il passe bien sûr pour un fou, un imposteur, un dangereux hurluberlu.


A l’inverse, le narrateur sera lui-même amené à séjourner dans un univers qui nous est plus familier, Spaceland, qui n’est rien d’autre que notre bon vieux bazar en trois dimensions… Il finira, non sans mal, par en percevoir les subtiles abîmes, mais de retour chez lui, il se sentira un peu à l’étroit… Et les vaines tentatives qu’il conduira pour initier ses compatriotes aux joies de la troisième dimension finiront par lui coûter sa liberté…

Mais cette savoureuse fable philosophique ouvre des fenêtres encore plus confondantes. Lorsque le carré de Flatland parvient enfin à percevoir la troisième dimension, il s’ouvre alors, grâce à ce décentrement, vers des intuitions qui semblent soudain inacceptables à son interlocuteur pourtant plus grassement dimensionné que lui-même. Il lui soumet l’idée, soudain claire comme de l’eau de source, qu’il doit nécessairement exister quelque part une quatrième dimension, une cinquième, etc. Dans la préface qu’il rédigea en 1983 Philip Goy souligne le regard scientifiquement précurseur d’ Edwin Abbott :


«Sur le fond du livre, à propos de la question de la dimensionnalité de l’espace physique, il faut souligner l’antériorité géniale d’Abbott qui a écrit cet ouvrage à peu près vingt ans avant les premières publications d’Einstein. »


On sait depuis les travaux sur la Relativité que la quatrième dimension (sous la forme du continuum espace-temps) a bien fini par trouver une forme de droit de cité dans notre univers physique.



Mais au-delà des intuitions mathématiques du clergyman, on retiendra surtout la dimension philosophique de son propos : une invitation à regarder toujours un peu plus loin que le bout de notre nez et à considérer un peu plus précautionneusement qu’à l’accoutumée les lois intangibles qui nous enferrent.


La plus instructive expédition du carré-narrateur (et la plus irrésistible pour le lecteur) est sans doute son séjour à Pointland : un monde à zéro dimension, habité par un unique Monarque aussi ridicule qu’outrecuidant, puisqu’il se confond avec son propre univers : le point. Situation singulière qui, au lieu de l’humilité attendue, apporte au contraire à son unique habitant (qui parle de lui à la troisième personne) le plus immense des contentements…


«Il est l’Unique et cependant le Tout à l’intérieur du Tout. Ah, quelle joie, ah, quelle joie d’Etre !»

Lorsqu’on s’adresse à lui pour essayer de l’éveiller à sa misérable et fragile condition, il n’entend encore que lui-même, et en sort plus grandi que jamais…


«Le lustre du Monarque, qui brillait d’un éclat plus vif encore depuis qu’il m’avait entendu, montrait clairement que sa complaisance demeurait intacte ; et, à peine m’étais-je tu qu’il recommença de plus belle. "Oh, quelle joie, quelle joie apporte la Pensée ! De quoi n’est-elle pas capable ! Elle se présente à Lui sur le ton du dénigrement, dans le seul but de rendre Son bonheur plus suprême encore ! Elle attise en Lui une douce rebellion qui conduit au triomphe ! Ah quel bonheur, ah, quel bonheur d’être !".»

Vous connaissez de tels Monarques ? C’est curieux, moi aussi… Ce merveilleux petit livre fait donc de toute évidence une idée de cadeau qui survivra bien aux fêtes de Noël…















Pour cette note :
Edwin A. Abbott, Flatland. Editions Denoël. Traduit de l’anglais par Elisabeth Gille. 1968

Dernière édition : Zones Sensibles, dans la traduction de Pierre Blanchard



Images : 1) Funambule (source) / 2,3,4) Flatland : illustrations d'Edwin A. Abbott / 4) Edwin A. Abbott (source)

jeudi 20 décembre 2012

> Cinq livres et une apocalypse

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Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais pour moi, ça y est, tout est prêt. J’ai organisé mon bunker du mieux que j’ai pu. J’ai su transformer une obscure et humide cave de Seine-Saint-Denis en un cocon douillet. J’ai laissé le vin là où il était (ne pas oublier le tire-bouchon, ce serait dommage), j’ai descendu au sous-sol une provision raisonnable de livres, de corned-beef et de Vache-qui-rit. Je peux attendre avec sérénité. Les Zombies de Nibiru n’ont qu’à bien se tenir, les Mayas compter sur leurs doigts, les trous noirs ouvrir grand leurs clapoirs déglutisseurs de matière rayonnante. Toutatis peut me géocroiser tant qu’il voudra et les tumuli intergalactiques de tout crin entamer leur danse de Saint-Gui : je suis à l’abri.

Pour les livres, je vous passerai les détails. Il fallu faire des choix, tailler large, taper dans le dur. Je me contenterai de vous livrer ici (je ne voudrais pas abuser du peu de temps qu’il vous reste) une seule des fastidieuses contraintes qui ont dicté la constitution de ma mini-bibliothèque anti-atomique : conserver au moins cinq livres qui évoquent l’apocalypse – sous une forme ou une autre. J’ai pensé qu’il serait quand même regrettable de se priver d’une expérience unique : pouvoir relire un livre qui évoque la fin du monde, après, justement, que celle-ci a eu lieu…

Voici donc ma short list personnelle d’apocalypses littéraires bunkérisables…

1) La route de Cormac Mc Carthy : fin du monde ou pas fin du monde, médaille d’or de tout ce que j’ai pu lire ces cinq dernières années (malheureusement porté à l’écran dans un film qui ne vaut pas l’ombre de sa page de garde).

2) Le monde englouti de James G. Ballard. Peut-être le plus beau roman de sa série des Quatre apocalypses (avec Forêt de cristal). Le maître de la SF déploie sa vision d’un monde caniculaire et submergé où les individus eux-mêmes régressent incidemment vers une sorte d’humanité amniotique.

3) Le dernier monde de Céline Minard : fresque pour un homme seul. LE survivant décline sa solitude à toutes les sauces sur une planète rendu au règne des bêtes et des vestiges. Epique, profond, déjanté et d’une étourdissante inventivité verbale.

4) Docteur Bloodmoney de Philip K. Dick : l’un des plus beaux récits de l’auteur de Blade Runner et de Ubik. Une communauté de survivants composent avec les biais auxquels les a astreints l’impact des bombes qui a ravagé la Terre : on croise des chiens aux paroles caverneuses, des demi-vivants, des rats presque humains et un DJ sur orbite transformé en Dieu vivant

5) Malevil de Robert Merle, dont je ne sais plus grand-chose, mais que je conserve comme l’un des grands coups de cœur de mes jeunes années pré-apocalyptiques.


Et si demain, vers midi, vous passez par ma cave, n’oubliez pas les vôtres…


mardi 18 décembre 2012

> Pub : du vent dans les bronches !

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Si vous manquez encore d’une idée de cadeau pour les fêtes, sachez que Vents contraires, le livre collaboratif du Théâtre du Rond-Point, est paru début décembre aux éditions du Castor Astral.

Et il se trouve qu’en matière de présent natal, ce sympathique ouvrage collectif constitue une valeur sûre.

J’irai même jusqu’à dire une valeur refuge.

On y rit,

On y pleure (bon, d’accord, beaucoup moins quand même),

Et,

Cerise sur le gâteau,

On peut le lire dans tous les sens, en commençant par la fin, le début, par le milieu ou les bas-côtés.




 
Autour d’une contribution absolument décisive à la page 133, gravitent encore, très accessoirement, tout un panel de griffes illustres (Eric Chevillard, Enki Billal, Régis Jauffret, Denis Lavant, Marie Nimier, Paul Fournel, …) et d’autres moins illustres mais tout aussi acérées, gratinées ou égratignantes.

Dans cet ouvrage tout en sons et lumières :

Fournel fait son Fénéon,

Le Corbeau balance,

On trouve des frites avec vue sur la mer,

Le Tampographe Sardon délivre un permis de gifler les enfants des autres,

Jean-Marie Gourio dit  : «Ma femme ne peut pas me quitter. Je suis jamais là.»

Et on découvrira cette très belle mise en garde d’Abraham Lincoln :

«Le problème avec les citations sur Internet c’est qu’on ne sait jamais si elles sont authentiques ou non.»

Bref, pour toutes ces raisons et d’autres encore (que le cadre promotionnel ici auto-imparti ne me permet pas de développer plus avant)…

Accrochez des Vents Contraires à vos sapins !

Pour ceux qui n’aiment pas tant lire que boire, ou le contraire, ou les deux, sachez aussi que la sortie du livre se fêtera au Théâtre du Rond-Point le mercredi 19 décembre à partir de 19h.



  Vents contraires, le livre collaboratif du Théâtre du Rond-Point. Le Castor Astral. "Curiosa & caetera". 2012

jeudi 13 décembre 2012

> Thomas Vinau : la peau grenue du monde

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Dans ses poèmes et ses textes, Thomas Vinau s’efforce de donner à voir ce qui fait feu juste sous nos pieds. Il entend faire crépiter ce qui se dérobe, se soustrait, le peu du peu qui pourtant, si l’on s’efforce de le considérer, laisse parfois entrevoir quelque chose de notre commune et misérable grandeur. Mais attention, l’embrasement n’est pas immédiat. Loin s’en faut. Il faut prendre le temps de ramasser des fagots mouillés, de planer dans le décor, il faut laisser traîner ses pieds dans la poussière. L’instant n’est pas d’emblée d’émerveillement. Il s’agit d’abord de traverser la mesure modeste des choses, de flâner dans les marges et de glaner ce dont personne n’a voulu…




Dans Les derniers seront les derniers, un recueil de poèmes paru cette année au Pédalo ivre (une maison d’édition associative basée à Lyon), Thomas Vinau revient une fois encore sur son penchant naturel pour ce qui manque a priori d’éclat et de clinquant :

«Je suis une pie myope / qui vole ce qui ne brille pas».

On sait, je crois, assez peu de chose de l’auteur. Il vit dans le Luberon, écrit surtout des poèmes, des livres pour la jeunesse et n’aime pas se montrer. Si l’on en croit les éditeurs qui vendent ses livres sur les salons où il ne vient pas, la performance ne serait pas de son goût… Il tient un blog, à travers lequel il sème des traces dans les points de suspension de la vie et qui constitue autant d’ébauches ou d’échos des recueils qu’il publie. Il se range volontiers sous de petites enseignes telles que «supporter des poussières», «militant du minuscule», «anomaliste»… En matière de littérature il affectionne tout particulièrement les «clochards célestes» avec une mention spéciale pour Richard Brautigan.

Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais ne fait pas nécessairement un poète…

C’est entendu. D’autres que lui s’essayent d’ailleurs régulièrement à sillonner les interstices, à caresser le monde par la bande et les bosses ou à nous promener dans les escaliers de service de la vie. Mais ils ne sont pas si nombreux que cela à s’accorder de la sorte au menu voyage qu’ils entreprennent. La musique de Thomas Vinau est d’autant plus touchante qu’elle est fragile comme du verre. On a l’impression étonnante qu’il y a une poétisation immédiate de ce qu’il touche et regarde (fût-ce le moindre rebut) et qu’il n’arrive pourtant jamais à prendre la poésie tout à fait au sérieux. L’écriture, proche de l’annotation, reste souvent en suspens, vibratile, et rechigne à s’imposer en poème consacré. Même quand ça commence fort…

«Dans la peinture traditionnelle japonaise / - ça fait toujours bien / un poème qui commence par / dans la peinture traditionnelle japonaise»

On se dit qu’il y a peut-être là une posture, ou, tout au moins, que la page qui vient va nécessairement se situer dans le même ordre de grandeur et de tonalité. Et pourtant, l’étonnement est presque toujours au rendez-vous. Quelque chose de pointé, de ressenti, une mélancolie ou une étincelle que l’on n’avait pas calculée et qui vient se poser juste au-dedans de nous, à la juste place. Et même si Thomas Vinau est conscient qu’ «écrire / c’est creuser un trou / pour en boucher un autre», il y a dans ses poèmes, ses listes, ses notes, un mouvement qui nous invite à reprendre vie. A poser un autre temps dans le temps qui nous traverse. Même le vide qui habite l’existence semble redevable d’une certaine forme de délicatesse et d’attention :

«Creuser les jours creux / comme des noyaux d’abricot / souffler dedans /écouter la musique qui n’en sort pas.»

Il y a parfois un style, une sensibilité qui pourraient évoquer un Christian Bobin rincé de sa foi, plus maussade et plus carné. Le poète doit ici savoir se contenter des restes et surtout ne rien gaspiller, comme l’indique cette simple et belle injonction :

«Finir / la lumière / d’hier»

Par petites touches, tout est dit de notre humilité obligée, du peu de champ que nous laisse la vie pour déployer nos ailes. Il faut bien y consentir mais il faut consentir aussi à ne jamais manquer le moindre éclat de bonheur. Et dans ce passage étroit, une forme d’enchantement redevient possible.

«Un jour de vent dans les jupes / Schopenhauer ne fait pas le poids»

....


«Tes pieds /contre mes pieds / et je me rendors / avec la sensation / de baigner dans un semi-remorque /de fraises sauvages.»

Ecrire serait peut-être simplement faire l’effort de toucher du doigt ce qui nous arrive, nous enjambe ou nous passe sous le nez, nuage crasseux ou éclaircie.

On trouvera parfois quelques formules un peu plus attendues, un peu plus approximatives. Mais ce n’est pas grave. On dirait que c’est le risque qu’il accepte (ou se fiche) de prendre, pour garder le pas et le tempo qui lui conviennent.

Lisez Thomas Vinau, vous aurez envie de garder l’un de ses livres toujours près de vous. Les jours où tout est trop lisse ou quand tout va trop vite, sa poésie est un pense-bête : elle nous rappelle la peau grenue du monde.











Thomas Vinau, Les derniers seront les derniers. Le pédalo ivre. 2012

Et tout le reste est ICI


Images : 1) et 3) : The Little People Project

vendredi 7 décembre 2012

> Un homme fuyant l'absence

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Lire l'article ICI


David Grossman, Tombé hors du temps. Editions du Seuil. 2012

Image : ©Isabelle B.

dimanche 2 décembre 2012

> Euclides Da Cunha : rouges déserts

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Hautes Terres (titre de la traduction française de Os Sertaõs d’Euclides Da Cunha) est un livre immense et inclassable. On le présente généralement comme un monument de la littérature brésilienne. Mais le lire, c’est se convaincre que la grandeur de cette œuvre, bien qu’enracinée par son propos à la terre et à l’histoire du Brésil, est d’une portée qui dépasse largement ces frontières nationales. Plus d’un écrivain est resté pantois devant ce livre hybride et colossal paru dans les toutes premières années du XXème siècle : Cendrars le magnifiait et avait un temps rêvé de le traduire ; Vargas Llosa, quatre-vingt ans plus tard, assumera son irrépressible envie de le réécrire pour composer, dans l’ombre d’Euclides Da Cunha et en son honneur, l’un de ses plus puissants romans : La guerre de la fin du monde.



On pourrait, pour aborder les rives de ces Hautes Terres, commencer par parler de l’auteur lui-même, revenir sur le destin romanesque et fulgurant de cet homme qui, après avoir embrassé une carrière militaire, jette ses armes aux pieds du ministre de la guerre pour devenir journaliste et meurt brutalement à 41 ans sous les balles de l’amant de sa femme. On pourrait s’attaquer au caractère atypique de cette œuvre, qui relève tour à tour du traité de géographie, de philosophie, d’ethnographie, de géostratégie et du récit de guerre, le tout porté par une prose somptueuse capable d’allier une scrupuleuse précision à un lyrisme épique et politique aux accents hugoliens. Mais le mieux est peut-être de revenir d’abord aux événements qui l’ont inspirée, nourrie et autour desquels elle s’est déployée. Un épisode historique qui, par bien des aspects, échappe encore à la compréhension et défie toutes les logiques de la guerre.
Ce que l’on a appelé « la guerre de Canudos » s’est déroulée en 1896 et 1897 dans le Nordeste du Brésil, aux fins fonds du Sertaõ, cet ensemble d’immenses régions désertiques qui se déploient à l’intérieur du pays et plus précisément ici, dans le Nord de l’état de Bahia. Le Sertaõ est composé de terres arides et inhospitalières vers lesquelles ont reflué les populations les plus déshéritées du Brésil : Noirs, Indiens, Blancs sans terre… Tout ce que le pays comptait de plus démuni et quelques hordes en rupture de banc ont peu à peu peuplé ces étendues de ronces et de pierre pour constituer une sorte de communauté unie avant tout par les liens fragiles de la pauvreté.

A la fin du XIXème siècle, le Brésil est une jeune nation républicaine : l’esclavage a été aboli en 1888 et la République, proclamée en 1889, veut tourner une page avec l’Empire, la Monarchie, les amours incestueux de l’Eglise et du pouvoir. Elle affiche une foi sans borne dans la modernité. La République est puissante, armée et n’hésite pas à écraser les sursauts d’irrédentisme de tout crin qui ne manquent pas de lui barrer la route. C’est en 1896 que le village de Canudos surgit du désert anonyme comme un caillou dans sa chaussure. La République ne sait pas encore que ce caillou lui vaudra l’une de ses pires gangrènes et qu’il faudra l’amputer jusqu’au dessus du genou…

Au centre de ce village composé de cahutes en torchis et qui, si l'on en croit ce qu'en dit Gilles Lapouge dans son Dictionnaire amoureux du Brésil donna le premier à la langue brésilienne le terme de « favela », il y a la figure prophétique d’un homme : Antônio Vicente Mendes Maciel, dit Conselheiro, le Conseiller. C’est sur lui que Vargas Llosa focalisera l’incipit de son roman :

«L’homme était grand et si maigre qu’il semblait toujours de profil».

Le Conseiller, après une existence parsemée d’aléas et de revers se posera près de Canudos pour devenir le modèle d’une vie tout entière vouée à la foi et à la lutte contre tout ce qui lui fait ombrage. Il consacrera le plus clair de son temps à ériger des églises et à construire des cimetières dans les hameaux du Sertaõ, agrégeant autour de lui une foule de plus en plus considérable d’adeptes et de disciples. En 1896, alors qu’il s’apprête à régler un différent avec un fournisseur de bois de Juazeiro, une centaine de soldats ont la mauvaise idée de s’interposer entre le grand escogriffe et son mauvais livreur au prétexte de protéger la population du village sur lequel le Conseiller et ses hommes s’apprêtent à marcher. Premiers escarmouches, premiers morts des deux côtés et première cuisante débandade des trop fiers militaires. L’incident a blessé l’orgueil de l’armée et alerté sa vigilance républicaine. De nouvelles expéditions, toujours mieux dotées en hommes et en moyens se lanceront dès lors à l’assaut de ces Sertanejos insoumis et désormais repliés dans l’ensemble de venelles labyrinthiques qui constituent Canudos. Des expéditions qui se solderont à chaque fois par des milliers de morts et la retraite cuisante, inadmissible et incompréhensible des expéditionnaires. La République tremble dans ses fondements, on ne conçoit pas qu’une horde de pauvres ères mystiques et affamés puisse ainsi tenir tête à des bataillons rangés de soldats redoutables, rutilants, armés jusqu’aux dents et conduits par les plus grands officiers du pays. Il ne faudra pourtant pas moins de quatre expéditions pour en venir à bout, bien péniblement. La dernière d’entre elle rassemblera les meilleurs bataillons de tous les états du Brésil, l’artillerie la plus puissante et la plus moderne du moment et sera dirigée par le bras droit du ministre de la guerre. Et pourtant, il s’en faudra de peu qu’elle ne se solde, comme les précédentes, par un enlisement, une déroute et une défaite des troupes républicaines. Canudos est finalement écrasé en octobre 1897 au terme d’un siège de plusieurs mois qui aura coûté la vie à des milliers de soldats et officiers et à l’issue d’une résistance hallucinante des derniers combattants du village. Les Sertanejos auront aussi payé là un lourd tribut : pas un seul mur de pisée de Canudos ne restera debout et pas un seul de ses habitants ne survivra. On estime que quinze mille personnes, hommes, femmes et enfants auront été sacrifiés dans cette guerre.



C’est cette longue et troublante histoire que nous raconte par le menu détail Euclides Da Cunha, lui qui fut correspondant de guerre de la quatrième expédition et assista aux ultimes combats de la guerre de Canudos. Si ce n’était que cela, Hautes Terres vaudrait déjà le détour, au titre du témoignage irremplaçable que le livre constitue. Car la guerre de Canudos fut bien ce que l’on peut appeler une guerre oubliée et le serait probablement restée sans la somme que lui a consacré l’écrivain et journaliste brésilien. Mais la grande œuvre de Da Cunha déborde de toutes parts le seul cadre du témoignage et son style, son ampleur et son ambition lui confèrent une portée littéraire unique.

C’est d’abord la structure du livre qui le singularise. Les lecteurs trop pressés devront directement passer à la page 231 pour entrer dans le théâtre sanglant de la guerre de Canudos. Mais ce serait dommage… On n’en vient en effet à La lutte qu’après deux autres longs chapitres qui ont la prétention de l’éclairer de manière structurelle et presque ontologique : La terre et L’homme. Vaste programme que lui inspire tout un courant scientiste et positiviste qui lui est cher. Dans leur préface, les traducteurs (Jorge Coli et Antoine Seel) rapprochent la démarche de Da Cunha de celle d’un Taine ou d’un Herder. L’écrivain a besoin de poser des cadres, de remonter le fil des déterminismes, «comme si un socle lui était nécessaire pour son édifice monstrueux …». Ainsi, il n’hésite pas à consacrer une cinquantaine de pages à la seule histoire géologique de son pays et restreint encore le champ de son analyse aux monotones espaces du Sertaõ… Et pourtant, il semblerait que l’on lise du Lucrèce tant il parvient à innerver ses descriptions de poésie, sans jamais renoncer à la précision du propos. Certes, il arrive que l’on saute des passages, mais le lecteur sera le plus souvent surpris par la grande et belle tenue de cette prose géologique. En voici, parmi bien d’autres, un extrait qui nous paraît suffisamment édifiant :

«La lutte pour la vie, qui se traduit dans les forêts par une attirance irrésistible vers la lumière alors que les arbustes se dénouent en lianes lâches et élastiques, fuyant l’étouffement des ombres et préférant, dans leur élévation, les rets des rayons du soleil à ceux des troncs séculaires – cette lutte, ici, tout au contraire, est plus obscure, plus originale, plus émouvante. Le soleil est l’ennemi qu’il est nécessaire d’éviter, de tromper ou de combattre. Et l’éviter signifie – nous pressentons déjà le phénomène avant même de le décrire – que la flore moribonde procède à son inhumation, enterre ses tiges dans le sol. Mais comme le sol est lui aussi âpre et dur, desséché par le drainage des pentes, rendu stérile par la succion des strates qui complètent le travail des insolations entre deux milieux défavorables – des surfaces embrasées et des terrains arides - , les plantes plus robustes portent sur elles, gravés dans leur aspect excessivement anormal, tous les stigmates de cette sourde bataille.»

Comment imaginer que l’on ait pu offrir de telles phrases à la végétation squelettique des déserts brésiliens, qui plus est sans jamais donner dans l’élucubration ni jamais trahir la portée de ce qui veut être montré ? Et comment ne pas entrevoir déjà dans la photographie de cette terre monstrueuse le gouffre dans lequel se précipiteront bientôt des légions de militaires ignorant tout des innombrables pièges retors du Sertaõ ?


Et puis vient L’homme, le Sertanejo, dont le journaliste brosse une généalogie qui se veut étoffée en s’appuyant sur de nombreuses sources anthropologiques. Mais le fil directeur de ces réflexions s’inscrit avant tout dans un cadre de pensée racialiste inspiré par les sombres théories de Ludwig Gomplowicz et d’historiens naturalistes grand amateurs de hiérarchisation des races. On s’introduit alors dans un corridor grinçant où il est question de germinations dégradées, d’amalgames dégénérescents et la cuisine que l’on goûte a soudain des relents auxquels on ne s’attendait pas. Euclides Da Cunha affiche son dégoût profond pour le métissage, un métissage dont le dernier et regrettable degré d’accomplissement s’incarne justement à ses yeux sous la figure de l’homme du Sertaõ. On se demande un instant s’il est urgent d’aller plus loin… Mais ce serait se priver de l’étonnement de voir une œuvre se corrompre elle-même et dynamiter à l’épreuve des faits la propre théorie qu’elle comptait illustrer. Car les combattants de Canudos ne cesseront de forcer l’admiration de l’observateur. Tout comme ils forceront à l’heure de leurs derniers et inutiles soubresauts de résistance, si l’on en croit Da Cunha, celle des militaires républicains eux-mêmes. Au point que ces ultimes suppôts de la bâtardise, présentés le plus souvent, dès que l’écrivain brésilien se penche sur la cause de leur combat, comme les survivants moribonds d’un messianisme attardé, finiront par symboliser le sang vif de la nation, sa part la plus minérale et irréductible… Il faut attendre la page 580 pour découvrir l’acmé de cette transfiguration. Pour relater le coup de grâce porté aux derniers résistants de Canudos, Euclides Da Cunha n’hésite plus à faire le grand saut :

«Qui plus est, on touchait au cœur d’une nationalité. On attaquait à fond la roche vive de notre race. La dynamite venait à propos… C’était une consécration.»

Rares sont les œuvres qui nous donnent à voir de l’intérieur de telles anamorphoses...

A la suite de ces deux premiers chapitres le focus se resserre progressivement sur Canudos puis sur celui qui en constituera de pilier et le symbole imputrescible, Antônio Vicente Mendes Maciel, et enfin sur les événements à proprement parler. Le récit des quatre expéditions est tout à la fois un rapport journalistico-militaire par sa précision et sa richesse de détails , une étude de cas digne de Clausewicz pour l’intelligence de ses analyses stratégiques (et en l’occurrence ici des erreurs de calcul de l’armée républicaine) et une œuvre homérique par son souffle et son ambition. La guerre de Canudos fut surtout une guerre incompréhensible et incomprise. Un camouflet à la logique des rapports de force et une entorse aux règles psychologiques de la guerre.

Plus l’armée s’irrite et déploie sa puissance de feu, plus elle s’enfonce dans la débâcle et multiplie ses déconvenues. Deux mondes s’opposent mais aussi deux visions de la ruse, de la force et du sens de la guerre. A Canudos, ce sont en fait deux guerres qui s’affrontent : une guerre facturée, déployée et régulière contre une guerre irrégulière, larvée, faite de sursauts éreintants et qui sait, tressée à la terre indomptable du Sertaõ, faire une force de la moindre faiblesse. Les déserts arides du Sertaõ bahianais furent sans conteste pour Canudos ce que les plaines glaciales de Russie furent pour Stalingrad. Pour vaincre, si l’on peut dans ce contexte encore parler de victoire, le commandement de l’armée républicaine hébété par tant de résistance se verra obligé de plonger ses soldats dans la lie et de procéder à une boucherie sans nom. C’est notamment ce renversement de situation qu’évoque Jean-Yves Jouannais dans son Usage des ruines lorsqu’il retrace le destin du général Oscar de Andrade Guimarães à la tête de la dernière expédition sur Canudos :

«Lui qui rêvait de batailles rangées, d’encerclements et d’offensives de grand style, il en vient à exterminer des civils défendus par une troupe de bandits sans plus de munitions, rongés par la dysenterie».

Mais en lisant Euclides Da Cunha, l’encyclopédiste des guerres aurait pu retenir de cet épisode de l’histoire du Brésil d’autres traits plus surprenants encore et qui auraient concerné plus directement son propos centré justement sur l’usage des ruines et l’usage qu’ont pu  parfois en faire les victimes mêmes de la dévastation. Lorsque les Républicains, lors de la quatrième expédition, se croient enfin prêts à entrer dans Canudos, ils font précéder leur entrée de bombardements massifs au Canon 32 afin de semer un vent de déroute avant l’assaut final. Or, l’effet produit est le contraire. Les maisons, toutes de torchis, volent effectivement en éclat. Mais cette destruction transforme soudain la ville en un tourbillon de poussières et de débris imprenable. Canudos devient un labyrinthe indéchiffrable où les ruines, d’une même couleur et d’une même matière que la terre des venelles, rend tout indistinct, confus, labyrinthique et offre de nouveaux retranchements aux survivants qui échappent à la perspicacité, déjà mise à rude épreuve, des soldats.



Les longues pages qu’Euclides Da Cunha consacre à cette guerre sont à la fois passionnantes et épuisantes. Il écrit depuis le rang des Républicains et nous fait vivre leurs avancées et leurs reculs successifs de l’intérieur. Les regains d’espoir bientôt déçus, les généraux qui tombent un à un, le périple des soldats et des officiers qui s’enfoncent dans la caatinga guindés dans leurs uniformes neufs et qui quelques mois plus tard, pour ceux qui en reviennent, réapparaissent dans les premiers villages de garnison tels des fantômes affamés et loqueteux. Au fil des mois l’armée redouble d’efforts et de rage conquérante alors que la morgue déplacée du Conselheiro et de ses fidèles, que l’on espérait rabrouer en une canonnade et réduire discrètement au silence, enflamme le pays. On imagine des complots politiques de grande envergure fomentés avec les partis opposés à la République, des alliances internationales clandestines, des armements de Canudos depuis l’Argentine…

Et face à ces inconcevables et successives débandades de l’armée nationale devant les fanatiques de Canudos, les affabulations vont bon train dans l’esprit populaire, dérive d’autant plus naturelle que le Sertaõ a toujours été une terre d’histoires, de mystères et de légendes : des anges armés de sabre protègent les hommes de Maciel ; ceux-ci reviennent se battre en morts vivants après avoir été tués, grossissant ainsi toujours plus leurs rangs ; ils sont invincibles, se nourrissent du sang et de la force de leurs ennemis… Si ces rumeurs qu’évoque Da Cunha ont été bien réelles, gagnant parfois du terrain jusque dans les rangs de l’armée, Vargas Llosa en fera aussi à quelques endroits, le miel de son roman. Dans La guerre de la fin du monde, l’écrivain péruvien enchâsse les événements de Canudos dans une série d’histoires croisées et de destins individuels comme lui seul sait le faire. Ainsi, après le massacre final et la destruction de Canudos, le colonel Macedo recherche désespérément le fameux Joaõ Abade, personnage historique qui fut l’un des fidèles et redoutables chefs de troupe du Conselheiro mais auquel Vargas Llosa offre une profondeur de champ romanesque : Macedo l’a en effet poursuivi à l’époque où celui-ci, avant de rejoindre le Conseiller, n’était encore qu’un bandit du Sertaõ, mais un bandit que le colonel ne se résigne pas de n’avoir pas pu capturer. Vu que son cadavre n’a pas été retrouvé, il le cherche, veut savoir s’il est mort ou s’il en a réchappé. Dans la dernière page du roman, une petite vieille rescapée de Canudos (autre fiction sans doute puisqu’il n’y eut aucun prisonnier à l’issue de la prise de Canudos) s’accroche soudain à ses bottes…

« - Tu veux savoir ce qu’il est devenu, Joaõ Abade ? balbutie la bouche édentée.
- Je veux, acquiesce le colonel Macedo. L’as-tu vu mourir ?
La petite fait non en claquant sa langue, comme si elle suçait quelque chose.
- Alors il s’est échappé ?
La petite vieille fait non à nouveau, encerclée par les yeux des prisonnières.
- Des archanges l’on fait monter au ciel, dit-elle en claquant sa langue. Je les ai vus. »


La lecture de Hautes Terres constitue une expérience particulière tant pour ce qui est de l’objet historique qu’il nous donne à connaître qu’en ce qui concerne l’écriture d’Euclides Da Cunha et la posture de l’écrivain face aux événements qu’il relate. La guerre de Canudos brouille nos repères. On peut bien considérer qu’elle opposa la raison républicaine laïque et une certaine vision du progrès et de la démocratie à une forme d’obscurantisme arriéré. Ce n’est pas totalement faux. Mais on peut aussi en avoir une lecture sociale différente. Cette guerre opposa la classe des pauvres, des sans terre à un ordre nouveau qui défendait exclusivement les intérêts des nouvelles classes dirigeantes. Et de ce point de vue elle met en exergue les souffrances d’un peuple opprimé, exploité et jeté hors de l’histoire depuis toujours.

Peut-être sont-ce ces hésitations qui ont aussi traversé plus ou moins consciemment l’esprit de l’écrivain. Da Cunha est un républicain convaincu. Quand il dit «nous» on sait où il se place. Pourtant, il se laisse peu à peu submerger par la beauté aride des terres du Sertaõ et par la détermination et le courage indomptables dont font preuve les misérables combattants de Canudos. Au point qu’il finit par voir briller sous cet amas d’irrédentisme et de pauvreté, et en contradiction avec ses propos théoriques initiaux, «la roche vive de notre race».

Mais ce sont aussi les talents de styliste d’Euclides Da Cunha, le souffle qu’il déploie sans renoncer à l’exhaustivité, qui font la grandeur de cette œuvre. Et à ce titre, on ne peut terminer sans saluer l’immense travail de traduction (mais aussi d’annotation) de Jorge Coli et d’Antoine Seel.










Euclides Da Cunha, Hautes Terres. Métailié. 2012. Traduit du brésilien par Jorge Coli et Antoine Seel.


Images : 1) et 5) Sertaõ, photographies de Tiago Santana / 3) Le Conselheiro dans la presse brésilienne de l'époque (source) / 4) Favela (source)

vendredi 16 novembre 2012

> Joyce Carol Oates : sur le ring

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LIRE L'ARTICLE ICI

J'aurai en effet désormais le plaisir de mettre aussi mes pas dans ceux de Culturopoing.




Joyce Carol Oates, De la boxe. Tristram. 2012. Traduit de l'américain par Anne Wicke.

Photo : le noble art (source)


samedi 3 novembre 2012

> Manou chez les Fous

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On se souvient tous de Félix Guattari, a minima pour ses plus retentissantes collaborations avec Gilles Deleuze dans l’Anti-Œdipe et Mille Plateaux au début des années 70 et 80. Il fut à ce titre l’une des voix importantes du renouveau philosophique issu de Mai 68. Au-delà de ses écrits, il fut surtout, en tant que psychanalyste, un praticien de terrain inlassablement engagé et l’homme d’un seul lieu : la clinique de la Borde, qu’il dirigea jusqu’à sa mort en 1992 et où il aura passé le plus clair de sa vie. Cette clinique (qui existe toujours) constitue l’un des lieux emblématiques de la psychothérapie institutionnelle : une sorte d’anti-clinique psychiatrique où les soignés sont des acteurs sociaux au même titre que les soignants, un institution qui abolit l’enfermement et favorise des expériences de vie et de thérapie que l’on peut considérer encore aujourd’hui comme innovantes, même si le courant sur lequel se fondent ces pratiques date du début des années cinquante.

On ne connaissait pas encore Emmanuelle Guattari, la fille du bouillonnant penseur de gauche. Mercure de France vient de publier son premier « roman », qui n’en est sans doute un que parce qu’il est devenu étrangement incontournable de tout appeler « roman ». Au-delà de cette réserve agacée pour ce qui est de l’affichage générique, force est de constater qu’il y a là un texte pudique, drôle et touchant. Emmanuelle Guattari nous livre ici, dans un style aux antipodes de la prose philosophique et des préoccupations paternelles, une série de souvenirs d’enfance faits de menus événements, de rêves, de mélancolie et de joies. Une mosaïque sans prétention, un délicat filet de mémoire qui interroge aussi, de manière incidente, la singularité de ce lieu de vie qui fut celui de la famille Guattari : la clinique de la Borde.




Les Fous, c’est un peu comme tout le monde avec la folie en plus. C’est en substance la modeste leçon que « Manou » donne l’impression de retirer de ces années vécues au sein du «phalanstère labordien». Mais ce n’est pas rien, tant il est vrai qu’en milieu psychiatrique, le supplément est si souvent placé avant le substrat.

«L’art de la conversation, le souci de l’autre, la gentillesse ou l’impatience, le salut, la prise de nouvelles, l’intérêt sincère, les sourires, les insultes, les absences et les distractions, les visagéités inquiétantes ou ravagées, les comportements angoissés, l’atonie ou la catatonie, les corps étranges ou très dignes, les mains martyrisées, les tenues, , les odeurs, tout était à la fois signal d’un contact possible ou pas, comme dans toute vie en communauté ; et selon les moments, auprès d’un tel ou d’une telle, nous déviions souplement nos trajectoires, ou les arrêtions puis repartions dans nos cavalcades d’enfants.»

Les enfants de La Borde partagent donc un espace de vie et de liberté avec ces Pensionnaires que la narratrice, reprenant volontairement une désignation désuète et convenue, n’hésite pas à appeler effectivement «les Fous». Et au fond qu’importe puisqu’ils partageaient néanmoins leur vie à plus d’un titre et semblaient être un peu rangés dans le même tiroir qu’eux par bien des habitants de la ville. Ils étaient «ceux de La Borde». Dans le grenier de ses souvenirs, Emmanuelle Guattari aurait sans doute pu tirer une liste d’anecdotes tendres et croustillantes sur les faits et gestes de ces cohabitants. Mais ce n’est pas ce qu’elle a retenu dans ce récit. Si elle revient sur cette vie commune, c’est pour en exposer les termes et les principes, sobrement et intelligemment rappelés par le père qui pilotait ce projet peu conventionnel, mais les amateurs d’événements sensationnels resteront sur leur faim : pas de drame ni de relation fusionnelle dans ce périmètre de la mémoire. C’est avant tout une saine indifférence (qui peut consister à laisser l’autre vivre comme il l’entend) et un respect mutuel qui constituaient les termes de cette vie commune entre les enfants des thérapeutes et les pensionnaires. Quelques figurent traversent l’enfance - comme ce chauffeur qui condusait tous les matins les enfants à l’école sans jamais passer la deuxième vitesse – mais nous sommes loin du magasin des curiosités auquel l’évocation d’un tel cadre de vie aurait pu prêter le flanc.

L’expérience labordienne se fond d’ailleurs peu à peu dans l’évocation plus générale d’une enfance. Une enfance singulière, comme toutes les enfances somme toute, mais qu’ Emmanuelle Guattari sait ici restituer par petites touches avec justesse et sensibilité. Quelques portraits, quelques événements, quelques souvenirs qui , de fragments en fragments, finissent par composer un collage émouvant.

Des visages proches ou lointains traversent le paysage de la mémoire. Il y a les moments partagés au sein de la fratrie ou dans le cadre plus large de la famille. La figure du père est discrète mais prégnante. Emmanuelle Guattari dresse en pointillé le portrait d’un homme parfois absent mais souvent tendre et facétieux. Il s'amuse ainsi à feindre, quand il invite des copains de sa fille à déjeuner, d’avoir l’air surpris et choqué qu’ils ne mangent pas leurs os de poulet ou la peau de leurs bananes.. Manou se souvient aussi de la  guenon paternelle que Guattari avait ramenée d’un voyage en Afrique, élevée et choyée jusqu'à sa mort comme un membre de la famille… la Boubou de Guattari fait un rien penser à la Pépée de Léo Ferré, comme s'il y avait là une sorte d'attribut libertaire. Autre flash-back : un jour Manou chaparde un pendantif dans une galerie commerciale et se fait pincer… Sans aucune forme de mauvaise humeur, le père vient chercher sa fille au magasin. Il paye l’objet et la raccompagne.


« Nous sommes dans sa voiture. Il me dit :
- Tiens, je te le donne, le petit pendantif.
Il ajoute :
- Dis, tu ne vas pas te pendre ? »



 
Et puis parfois, entre quelques souvenirs plus anecdotiques, la douleur de la perte s’immisce soudain :

«Ma mère a disparu de ma vie comme une bulle de savon qui éclate»

On trouvera là l’un des textes les plus poignants de ce récit. S’agit-il d’un rêve récent ou ancien, du souvenir d’un rêve éveillé, d’un éclat de fiction pour battre le rappel ? Ou plus vraisemblablement l’aveu d’une absence qui a déchiré les années.

«Comment est-ce possible ? Elle était là. Elle n’est plus là. Mais où est-elle ? Et puis un jour, en regardant l’avenue et la ville par la fenêtre, j’ai vu le ciel s’écraser sur le sol.

Un énorme étau et j’ai été prise d’un vertige : mes morts ne sont-ils pas là juste derrière cette sorte d’écran, celui qui s’allume devant nos yeux ? Je ferme les yeux. Je serre fort les paupières. J’attends. Puis je regarde ; non, je ne vois pas les morts. Je me retourne, ma mère n’est pas là. »

Manou va alors négocier avec le Gouvernement des morts, prête à donner dix ans de sa vie pour passer à nouveau dix minutes avec sa mère.

«Tous les jours, je vais au café et je reste.
Je suis là, assise, un peu appuyée contre la buée de la glace.
Je suis sûre qu’ils accepteront à un moment ou à un autre»

Mais l’absence ne se négocie pas, si ce n’est peut-être, mais d’une toute autre manière, avec l’écriture. Un peu plus loin on croisera aussi le fantôme du père, sous une pluie battante, dans le parc du château de la Borde : une petite sortie du monde des morts pour une apparition fugitive.

Les souvenirs ne suivent pas ici le fil imposé d’une chronologie. Ils semblent redistribués comme des cartes ou cueillis au gré de leur évanescent retour et le plus grave y côtoie souvent le plus léger.

Emmanuelle Guattari, dans ce premier texte pudique et sensible, a su trouver un ton, une musique, que l‘on espère avoir l’occasion d’entendre à nouveau.














Emmanuelle Guattari, La petite Borde. Mercure de France.2012.


Images : 1) La Moindre des choses (source) / 3) Felix Guattari (source) / 4) Monique Stap : Chateau sous la pluie (source)

dimanche 28 octobre 2012

> L'amitié comme la neige

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La douceur est parfois cette chose qui parvient encore à flotter à la surface du désastre. Une sorte de grâce fragile revenue des chemins de boue et que l’écriture s’efforce de préserver. C’est un peu cela que le lecteur touche du bout des doigts dans les quatre textes de Mario Rigoni Stern consacrés à Primo Levi que les éditions de la Fosse aux Ours viennent de réunir dans un petit recueil. Pour Primo Levi rassemble quatre courts extraits d’œuvres antérieures de l’écrivain italien décédé en 2008 : les Sentiers sous la neige (2000), le Poète secret (2005) et Requiem pour un alpiniste (2007). Il y est question en peu de mots de souvenirs, d’amitié et de ce que certains lieux peuvent apporter de paix à des hommes qui ont traversé, chacun à leur manière, l’horreur de la guerre. De ce que la vie peut encore offrir de répit à ceux qui ont navigué dans les sous-sols de la mort et de ce que survivre veut dire, si tant est que l’on y parvienne.

 



Primo Levi et Mario Rigoni Stern sont deux grands blessés de la vie. On ne présente plus le premier, qui nous a légué le témoignage immense et sensible que l’on sait sur l’univers concentrationnaire. Le second a quant à lui vécu les dévastations de la Seconde Guerre d’abord sur le versant du Front Russe et du repli désastreux des troupes allemandes et italiennes (épisode largement raconté dans l’un de ses plus célèbres romans : Le sergent dans la neige) avant de connaître la captivité en Prusse Orientale après le ralliement de l’Italie aux forces alliées. A deux ans près ils ont le même âge (Primo Levi est né en 1919 et Rigoni Stern en 21) et entretiennent un rapport relativement comparable à l’écriture. Comme le rappelle François Maspero dans la postface à Pour Primo Levi, ni l’un ni l’autre n’étaient destinés à devenir écrivains. Rien de vocationnel ici, mais une sorte de travail exclusif et besogneux imposé par l’énormité de ce qui avait été vu et vécu et dont il fallait rendre compte à la fois dans un souci de témoignage mais aussi par nécessité, pour tenter de se reconstruire. Ecrire non pas pour encenser l’acte littéraire mais pour tenter de survivre une deuxième fois. Le projet reste fragile, la résilience toujours menacée d’inaboutissement. Primo Levi se suicide en avril 1987.

Le premier des quatre textes réunis ici, sans doute le plus émouvant, est une lettre que Mario Rigoni Stern adresse à Primo Levi au lendemain de son suicide. Une lettre où il dit sa peine de l’avoir perdu, où il évoque leur amitié de trente ans (ils s’étaient « découverts » dans les années cinquante) et le fil invisible qui les reliait tous deux à une jeunesse engluée dans les bourbiers de l’histoire. Les deux hommes ont correspondu longtemps et semblaient rechercher le même genre de quiétude. Rigoni Stern, dès la fin de la guerre, était revenu s’installer dans sa région natale en Vénétie sur le haut plateau enneigé d’Asagio. Primo Levi, souvent harassé à Turin par son travail, ses contraintes familiales et ses souvenirs obsédants aimait s’échapper vers des lieux de calme et de silence comme les lacs lumineux du Val d’Aoste. Les deux amis ont été ainsi amenés à partager quelques moments privilégiés comme au cours de ce printemps où Primo Levi avait rejoint Mario Rigoni Stern chez lui. Regarder les gentianes en fleur, observer le travail des abeilles, se tenir en silence l’un près de l’autre : autant de joies simples qui prennent ici une toute autre dimension dès que l’on se souvient du passé qui les hante. Un passé qui parfois leur revient au détour d’une parole et rend les instants de bonheur d’autant plus fragiles et précieux.

«Toutes ces choses étaient belles, mais de temps à autre un brusque silence s’abattait sur nous, non pour écouter les bruits et les voix de la nature mais parce que ta présence et la mienne, agissant l’une sur l’autre, convoquaient des fantômes d’un autre printemps, très lointain et pourtant toujours présent, où nous avions vécu des expériences parallèles. Il suffisait d’une phrase inachevée, d’un mot en allemand, en russe, en polonais ou en yiddish, pour provoquer entre nous une sorte de timide pudeur.»


Ces douleurs-là ne sont pas de celles qui peuvent disparaître, mais l’amitié comme la neige semblent pouvoir parfois les adoucir.

A ces échanges souvenus succèderont quelques dialogues imaginaires avec l’ami disparu. Il faut lire A skis l’autre matin avec Primo Levi. Rigoni Stern se promène dans ses montagnes de neige, marchant auprès du fantôme de son frère turinois, goûtant à la présence douce-amère de l’absent. Ils parlent du passé, du présent, de la Trêve, qui a été adapté au cinéma. Rigoni Stern sait quelles justes répliques prêter à Primo Levi, il connaît son esprit scientifique et l’imagine en train d’évoquer la micropénétration des éléments du fart et de ceux qui composent les cristaux de neige… Mais il connaît aussi sa grande humanité, ses cauchemars.

Une troisième figure est également convoquée dans l'un de ses textes, celle de Nuto Revelli, entré en résistance après la retraite de Russie et qui aura été partiellement défiguré au combat. Un écrivain moins connu et semble-t-il moins traduit en France, auteur pourtant de quelques œuvres majeures marquées aussi par l’expérience de la guerre. Et grand ami de Primo Levi et Mario Rigoni Stern.

Ces quelques textes de Mario Rigoni Stern nous touchent par leur émotion retenue. Bien plus qu’un hommage monolithique, ils ébauchent un sourire mélancolique et lumineux adressé à Primo Levi et, à travers lui, à tous les amis perdus. Une belle façon de faire encore un peu étinceler la vie dans cette longue traversée de la nuit.











Mario Rigoni Stern, Pour Primo Levi. La Fosse aux Ours. 2012. (Traduit de l'italien par François Maspero).


Images : 1) Primo Levi (source) / 3) Joseph-Felix Bouchor, Soleil et Neige (source)