vendredi 31 août 2012

> Chouette, une librairie !

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1976 fut une année éprouvante. On déplora  la disparition de Raymond Queneau, d'André Malraux, de Pierre Jean Jouve et la parution des premiers tomes du journal de Renaud Camus. Une sécheresse historique s'abattait sur l'Hexagone et la dernière librairie de Bobigny fermait ses portes.

Aline Charron et Guillaume Chapellas n'ont rien pu faire pour remédier à la plupart de ces événements. Ils viennent par contre d'ouvrir un lieu où l'on peut enfin, si le cœur nous en dit, acheter 8000 livres d'un coup, au 23 Boulevard Lénine, en territoire balbynien. Comme ils n'ont pas peur d'appeler un chat un chat, ça s'appelle A la librairie. Après tout, à Bobigny,  le Tribunal de grande instance s'appelle bien le Tribunal de grande instance...
 
La bien nommée est indépendante, spacieuse, tout en bois et déjà pleine de bonnes pages.  Qui plus est, les proprios sont sympas, ce qui ne gâte rien. C'est juste entre la MC93 et chez moi, autant dire, tout le monde en conviendra, extrêmement pratique.

Cet été, pendant que d'autres libraires relisaient leurs invendus préférés, feuilletaient les épreuves de la rentrée littéraire, rédigeaient des cinquièmes de couverture en sirotant des gin fizz ou descendaient les Gorges du Tarn en kayak pour tester la nouvelle édition waterproof des Mémoires d'outre-tombe, Aline et Guillaume faisaient de la décoration d'intérieur, déballaient des cartons, installaient des logiciels, et commençaient à vendre des livres dans une ville où il n'était plus possible d'en acheter depuis trente-six ans.

Alors c'est sûr, ça se fête.

On se rendra donc en nombre A la Librairie, le lundi 10 septembre, à partir de 18 h. Il y aura de la musique, du vin blanc, des livres, et, ne boudons pas notre plaisir, Marie Desplechin en marraine des lieux.

On peut même venir de Paris. Bobigny - je sais, c'est décevant - n'est jamais qu'au bout de la ligne 5 !
 
 
A la librairie. Lundi 10 septembre, à partir de 18h.

mardi 28 août 2012

> Alain Montcouquiol : l'arène et son ombre


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En espagnol, ressasser se dit machacar. Alain Montcouquiol nous le rappelle dans l’un de ces récits, lui qui écrit sous le signe du ressassement. Voilà qui n’est pas toujours la meilleure façon de toucher le cœur du lecteur. Sauf qu’ici, d’un récit à l’autre, l’écriture nous entraîne toujours plus loin dans une vie traversée par la grâce et la souffrance. Il y a, sous la plume de cet écrivain tardif, une magie modeste et puissante qui nous emporte. Ses trois  livres publiés aux éditions Verdier en quinze ans constituent une variation autobiographique autour de deux motifs inextricablement liés et qui ont la force d’une obsession : le deuil du frère et la corrida. La force d’attraction que produisent ces textes est d’autant plus surprenante lorsqu’elle opère, comme c’est le cas en ce qui me concerne, sur des lecteurs jusqu’alors peu versés dans le monde de la tauromachie. Car c’est avant tout dans cet univers que nous entraîne Montcouquiol. Sans prosélytisme, sans esthétisme, mais sans réserve non plus. Le souffle des toros et la poussière des arènes sont tout ce qui fait battre le cœur de l’auteur depuis qu’il a douze ans. C’est comme ça. On appréhende d’abord l’immersion puis on se laisse vite embarquer dans cette vie-là, une vie marquée par l’afición, certes, mais une vie également déchirée et qui palpite à chaque mot d’une immense mélancolie.
 


 
Reprenons : Alain Montcouquiol est le frère aîné de Christian Montcouquiol, plus connu sous le pseudonyme de Nimeño II, qui fut, selon les avis compétents, le plus grand torero français de l’histoire de la tauromachie. Sa statue de bronze, triste, solitaire (curieusement assez moche et pourtant émouvante) est plantée un peu de côté sur le parvis des arènes de Nîmes. Les touristes se font souvent prendre en photo à côté d’elle, généralement sans savoir de qui il s'agit. La carrière de Nimeño II fut fulgurante. Il fut le premier matador français à être pleinement encensé jusqu’en Espagne, cette patrie de la corrida si jalouse de ses titres de noblesse. La course folle de Christian Montcouquiol s’est brutalement arrêtée dans les arènes d’Arles le 10 septembre 1989 (il avait trente-cinq ans), suite à un terrible accident. Propulsé dans les airs par le toro qu’il s’apprêtait à combattre (issu de l’élevage de Miura réputé depuis plusieurs siècles pour l’extrême dangerosité de ses bêtes), il se brise les vertèbres cervicales en retombant au sol. Echappant de justesse à la mort, il se voue ensuite à une rééducation acharnée qui lui permettra de s’arracher à sa tétraplégie et de marcher à nouveau. Comprenant toutefois qu’il ne pourra plus jamais toréer, Nimeño II se donne la mort le 25 novembre 1991.

Ce destin tragique gravé en lettres d’or dans les annales de la tauromachie, son frère nous le conte à fleur de peau dans son premier récit, qui est resté le plus connu : Recouvre-le de lumière. Contrairement à ce que pourrait nous laisser penser le titre, il n’y a aucune vaine hagiographique dans ce texte. Certes, le jeune frère a très tôt forcé l’admiration de son aîné, au point que celui-ci abandonna son propre costume de lumière pour se dédier corps et âme à la carrière de torero de son cadet (1). Pourtant, cet abandon, mûri et assumé, a débouché sur une complicité profonde et à hauteur d’homme, et c’est ce qui rend ce texte si touchant. L’autobiographie d’Alain – la mort du père alors qu’il n’avait que dix ans, la naissance de son addiction pour la corrida dans le Nîmes des années soixante, les années d’errance madrilène avec Simon Casas pour décrocher les premiers contrats et devenir torero – bascule bientôt dans la biographie de Christian qui demeure, tant les deux hommes étaient proches, comme une sorte d’autobiographie à deux voix. La voix qui s’est tue et celle qui lui a survécu.



On suit alors comme une traînée de poudre, une existence passée entre routes, hôtels et arènes en France, en Espagne et en Amérique Latine. Une vie ponctuée de jours de gloire et d’ovations mais aussi de moments de doute, de ciels tristes et de fatigues. Les heures, les jours et les années semblent happés dans le tourbillon de cette étrange passion qui, comme toute passion, peut tout donner et tout reprendre. Alain Montcouquiol nous fait pénétrer, loin de toute forme d’héroïsation, dans les coulisses d’une vie de torero, une vie à la fois immense et humble tant semble contrastée la gamme des émotions qu’elle inspire… On lui pardonnera aisément, en non initiés, son recours ponctuel et obligé à des termes qui relèvent du jargon tauromachique et qu’il ne juge pas utile d’expliciter. On lui en saura même gré, car ces mots vibrent de leur propre vie et n’alourdissent à aucun moment ni le souffle ni le cours du récit (2).

Mais ce récit, toujours sensible et jamais lénifiant, trouve aussi son point d’arrêt comme sa raison d’être dans le rêve brisé de Nimeño II. Le stop soudain et incompréhensible qui fait brutalement basculer les deux frères dans une autre dimension. Le curseur se déplace alors vers une combat inattendu qui se joue loin des arènes, entre la vie et la mort, les mots d’encouragements, les larmes cachées, les plus simples gestes qu’il faut reconquérir et ce rêve absolument insensé de Christian Montcouquiol de retoréer un jour. Un rêve impossible que le frère aîné se refuse de briser, remisant à plus tard le temps des désillusions, certain que seul ce rêve pourra constituer «le fil de sa rééducation». Mais le temps des désillusions viendra pourtant. Il y a cette scène terrible, où alors qu’il remarche et se tient debout, le torero demande à son frère de lui remettre en main ses ustensiles, sa cape, son épée… Il est debout dans sa cour et son bras amolli et encore invalide ne parvient pas, malgré les efforts déployés, à supporter le seul poids de l’étoffe de la muleta qui glisse alors à ses pieds. Le dernier combat de Nimeño II aurait sans doute consisté à déposer le costume, mais il se refusera de le mener, voire même de l’envisager.

 


Alain Montcouquiol a un jour choisi de vivre dans l’ombre de son frère. Parce qu’il se savait ne pouvoir être torero jusqu’au bout il a décidé de vivre son rêve autrement, et d’aider son frère à entrer dans la lumière. C’est aussi cette étrange histoire, la sienne, qui est ici écrite en creux. Avec Le sens de la marche, paru en 2008, le frère du torero prend le risque de la redite, de la reprise. Mais il s’en fout, tant lui semble encore impératif ce besoin de dire l’absence. Les chemins qu’il emprunte ici, les moments de vie sur lesquels il revient semblent d’abord assez proches de ceux qui étaient abordés dans Recouvre-le de lumière.

Mais pourtant ce second récit vient encore creuser le premier, un peu comme le ressac finit par faire luire le rocher d’une autre lumière. Les mêmes tranches de vie sont parfois zoomées différemment, l’épaisseur du temps écoulé y a fait aussi son chemin, pour le meilleur comme pour le pire. Des extraits des carnets de route remplis dans l’urgence des déplacements à l’époque où les deux frères couraient de ville en ville s’immiscent comme des pièces d’archive dans le récit. Certains personnages qui ont compté (modestes chauffeurs ou amis toreros) sortent de l’ombre pour alimenter des micro-récits ou  des scènes de vie enchâssées. Mais surtout, Alain Montcouquiol interroge pudiquement le sens de son existence et de son travail d’écriture depuis la mort de son frère. On a peu à peu l’impression que l’écriture est à la fois ce qui renvoie sans cesse à ce vécu refermé sur lui-même et la seule distance qui peut être prise par rapport à lui.

 
« Qu’importe si je me répète, si je redis encore jusqu’au ressassement qu’il [son frère] me manque et que tout me rappelle son absence, je n’ai rien d’autre de plus urgent à dire. Je ne souhaite plus lutter contre cette obsession, même si elle ressemble à un désordre de plus, car rien ne m’indique sérieusement qu’il ne s’agit pas là d’un autre ordre, qui me dépasse, que je ne comprends pas mais que je dois regarder bien en face puisqu’il s’agit de ce qu’il me reste à vivre ».


Le récit se trouve ainsi émaillé de questionnements sur la quête qu’il esquisse. Il alterne entre la vivacité d’instants resurgis du passé et la lourde mélancolie d’un deuil qui "ne veut pas se faire". Il flotte et cherche un chemin entre le souvenir d’une vie choisie et vécue à fond de train et le mistral râpeux qui lèche les vieilles pierres immobiles de Nîmes quand chaque jour passé rappelle la mort du frère.

 

Avec le Fumeur de souvenirs, paru en janvier 2012, le ressassement qui est au cœur de l’œuvre d’Alain Montcouquiol semble cette fois s’élargir en cercles concentriques. Le fantôme du frère et la vieille passion tauromachique brûlent toujours dans chacun de ces textes mais la forme est cette fois différente. Il s’agit plutôt d’un recueil de souvenirs indépendants les uns des autres. Les moments de vie s’étrécissent, semblent gagner une forme d’autonomie sur la structure du drame existentiel qui va de l’enfance à la mort du frère : souvenir de paysages traversés, scènes de bar, portraits croqués sur le vif dans les rue de Lima ou les arènes de Mexico, souvenir d’un Noël improvisé en temps de vache maigre grâce à un copain malin et chapardeur, séquence de road movie pour honorer un rendez-vous professionnel sur une route de campagne du sud de l’Espagne. Les époques se bousculent et les champs de vision sont extrêmement variables. Montcouquiol parvient à nous retenir, on ne sait comment, sur un détail, une anecdote ou nous brosser soudain un épisode plus vaste et relâché dans le temps ou le propos. Quelque chose pourtant est là qui nous suspend à ses mots, un sens du récit, l’imminence d’un drame, ou une sorte de nostalgie diffuse. Ou peut-être le sentiment prégnant d’assister, tant bien que mal, à la reconstruction d’un homme dans et par l’écriture. A des années lumière de la corrida, on pense parfois aux premiers textes de  Charles Juliet, dans ce qui se joue là.

A la fin de Recouvre-le de lumière, Alain Montcouquiol annonçait la couleur :

 
« Christian est mort à trente-sept ans, comme notre père. Et je cherche maintenant un sens à ma vie dans le souvenir de ces deux jeunes morts. »


Quelques quinze ans plus tard, dans Le fumeur de souvenirs il cherche encore le fil impalpable qui pourrait lui permettre de joindre les deux bouts de lui-même :


«  Le jeune torero que je fus, et l'homme désorienté qu'il est devenu ne savent pas encore se parler franchement, chacun dans son coin raconte ses histoires mais il n'y a pas de dialogue entre eux. »


Cet homme désorienté nous donne pourtant l'impression d'avoir enfin trouvé, dans la prose à laquelle il se raccroche, quelque chose comme sa lumière à lui. Il espère modestement écrire des textes à partager avec quelques personnes, « avec ceux qui acceptent de nager comme les chiens pour ne pas se noyer ». Alain Montcouquiol ne semble pas convaincu qu'il y aura une  rive au bout de cette traversée, mais qu'il se rassure au moins sur un point : une fois qu'on a commencé à le lire, il est impossible de renoncer à nager avec lui.


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(1) C'est Alain Montcouquiol qui prit d'abord Nimeño comme "nom d'arène". Christian devint ainsi Nimeño II.

(2) Les curieux de tout pourront en profiter pour se procurer l’impressionnante somme parue dans la collection Bouquins sous la direction de Robert Bérard : La tauromachie, dictionnaire et histoire. Une « encyclopédie » portative où l’on pourra tout aussi bien découvrir ce que sont un sorteo, une bronca, un desquite, une tienta, se familiariser avec la biographie de la plupart des toreros depuis le XVIème siècle, que se replonger dans les affres de l’Eros tauromachique selon Leiris et Bataille ou l’histoire des combats juridiques autour de cet « art » si peu consensuel. Mais cet ouvrage permettra surtout (c'est là notre goût) de s’apercevoir que pénétrer dans l’univers tauromachique c’est entrer dans un immense réservoir de mots, un vivier de poésie bariolée d’hispanismes.

 
 

 
 
Alain Montcouquiol,

Recouvre-le de lumière. Verdier. 1997
Le sens de la marche. Verdier. 2008
Le fumeur de souvenirs. Verdier. 2012


Photographies : ©Lucien Clergue (source)

samedi 25 août 2012

> Jour du père

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« Ce n’est toujours pas toi ce cadavre comme si toi tu aurais tenu en place comme ça comme si tu ne savais plus dire bonjour toi si courtois.
 Et si gracieux mon père qu’on te reconnaît au sourire.
 Ce n’est toujours pas toi ce visité qui n’offre rien à boire ne dit pas de s’asseoir toi si civil si hospitalier pas toi c’est trop mal imité. »

















Valérie Rouzeau, Pas revoir. L’Idée bleue.1999


Image : 1) A l'orée du chemin (Source)