jeudi 31 mai 2012

> Fenêtres sur Sade

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Dans le tumulte du salon du livre, l'objet avait retenu mon attention. C'était sur le stand des éditions du Rouergue. Car avant d'être un livre, Sade up, de Franck Secka, est un objet. Un bel objet intriguant. Vendons la mèche : il s'agit d'un livre pop up, vous savez, ces livres animés dont les corolles se déploient quand on tourne les pages. Qui n'a pas rêvé, enfant, devant quelques unes de ces histoires qui jouent avec la troisième dimension : un château soudain se dresse devant nous, des arbres passent à la verticale, des oiseaux s'envolent. Ou bien il faut trouver la bobinette, la languette qui fera surgir le lapin du chapeau ou la sorcière du placard. Sauf qu'ici le palais de nos rêves d'enfant a été troqué pour l'univers de Sade. Sade up est une libre variation en dix tableaux animés autour de la Philosophie dans le boudoir. Mais on retrouvera tout aussi bien des "citations" visuelles de Salo ou de Justine. D'ailleurs le travail n'est pas tant narratif que suggestif. Chaque double page nous entraîne dans une nouvelle scène qui fonctionne comme une proposition sadienne bien plus que comme la reconstitution d'un passage précis de l'œuvre du « divin marquis ».


Et il faut bien avouer que le résultat est impressionnant à plus d'un titre. D'abord parce qu'il s'agit d'un vrai beau livre. On aurait envie de parler d’un  «  livre d'artiste », par le souci du détail, la qualité des photo-montages, le choix et le rendu des couleurs, la précision des dessins et la composition d'ensemble. Chaque nouveau tableau met en branle des entrées  différentes, constitue une petite création à part entière, avec ses astuces qu’il faut prendre le temps de découvrir, avec sa tonalité et son champ de profondeur. Il y a de l'élégance, du sourire, de la grivoiserie dans ces tableaux. Mais s’y trouve  aussi inscrite la violence dérangeante qui traverse l'œuvre de Sade : des machines, des instruments de torture, des chairs mises à mal. La mécanique des corps est ici rendue avec habileté par l’ingénierie de de l’exercice.

Le principe du dévoilement, sur lequel repose le pop up, se prête forcément bien aux jeux de la fiction érotique. Le rapport livre-lecteur institue ici de manière mimétique une relation de voyeurisme-exhibitionnisme conditionnée par  le fonctionnement même des animations. Le lecteur n’a pas le choix : il doit aller voir en dessous, derrière, démasquer, rendre visible.

Frank Secka aurait pu s’en tenir à une ligne claire et stylisée. On aurait pu avoir un  livre chic et frivole ou à l'inverse une machine bien huilée dans le registre du trash. Mais son travail est plus subtil. Son esthétique est à la fois très personnelle et se nourrit de nombreux échos. Certaines de ses compositions ont un peu la facture d’une imagerie surréaliste ou de collages à la Prévert. D’autres tableaux évoqueront plutôt d’improbables  notices techniques ou des figures de tarots revisitées sous l’angle de combinaisons libertines. On en retient pourtant une belle tonalité d’ensemble, sombre, rouge et sepia, servie d’abord par les montages photographiques. Mais on est également touché, si ce n'est par un propos univoque,  par une force d’intention. Quelque chose qui fait sens, ou interroge le sens, à travers un libre mais authentique dialogue avec Sade.



Une forme de syncrétisme se dégage de cette juxtaposition d’images, d’époques, de registres. On trouve des références vestimentaires ou iconographiques aussi bien à l’Antiquité, qu’au Moyen Age, au siècle des Lumières, au Second Empire, à la Belle Epoque et à la société actuelle. Comme si la scène érotique et ce qu’elle engage ne se trouvait arrimée à aucune mode, à aucune période. Partout le même théâtre social pour masquer la même animalité de fond… La présence animale constitue d’ailleurs l’un des leitmotiv de ces tableaux : chiens, poules, béliers, vaches, brebis, cochons sont toujours là pour nous rappeler l’humaine porcherie qui se profile derrière les conventions instituées.

Les positions sociales semblent elles-mêmes interchangeables et chacun tient son rôle, le pire derrière le meilleur. Du viol campagnard à l’uro-aristocratie en passant par la partouze de salon et la soutane licencieuse, rien n’est laissé de côté dans ce théâtre où les apparences hypocrites ne masquent jamais très longtemps la noire et irréductible nature de l’homme.

Car il y a aussi la violence disions-nous. Violence des corps, violence faite au corps... Mais violence politique aussi, comme le rappelle notamment la belle et troublante dernière scène du livre. C’est cette fois un échantillon de nos contemporains qui se trouve emballé dans un drôle de décor. Voilà donc nos semblables cloîtrés dans une sorte d’antichambre de la mort, entre abattoir, usine désaffectée et musée des horreurs, écrasés par un tableau en contre-plongée qui met en scène une guillotine au travail. Cette guillotine qui fut si familière à Sade et à laquelle il échappa de peu. C'est donc en filigrane l'évocation d’une violence faite aussi à la parole de l’écrivain.Qu’on se souvienne seulement que Sade fut embastillé sous tous les régimes de son époque et passa plus de la moitié de sa vie d’adulte dans un mouchoir de poche entre murs et barreaux…

«Sade pense. Toute l’œuvre de Sade pense». Michel Surya trouve judicieux de nous le rappeler dans sa préface à l’ouvrage de Frank Secka. Et c’est avant tout pour ce qui pensait et donnait à penser dans ses textes que le marquis a fait les frais des préjugés de son temps, que son œuvre allait encore être proscrite plus d’un siècle après sa mort et que par bien des aspects, elle dérange encore.

L’hommage de Frank Secka est audacieux, sensible et intelligent. Son livre est un objet qui se regarde et se manipule. Mais il garde aussi, à sa façon, l’une des forces majeures de l’œuvre avec laquelle il dialogue : il pense et donne à penser.

Si vous êtes à court d’idées pour la fête des mères, n'hésitez plus.








Frank Secka, Sade up. Editions du Rouergue. 2011. Préface de Michel Surya. Ingénierie papier par Philippe Huger.
Images : 1) Dali, Dami's Dilemma (source) / 2 /3) Sade up / 4) Marquis de Sade (source)

mardi 29 mai 2012

> Ressac











Depuis la Lettre de Buenos Aires (dont nous avions parlé ici), Hubert Mingarelli a encore fait paraître deux textes d'une cinquante de pages chacun, qui n'auraient pas dénoté dans ce dernier très beau recueil de nouvelles. Deux nouveaux copeaux de ce bois à la fois tendre et rugueux avec lequel l'auteur de Quatre soldats et d' Océan Pacifique bâtit son œuvre, originale, sensible, exigeante, depuis une vingtaine d'années. Et même si ces deux récits s'inscrivent parfaitement dans l'esprit de ce que l'on aura déjà pu lire de Mingarelli, le lecteur ne boude pas son plaisir de les accueillir en satellites et joliment mis en valeur par deux petits éditeurs qui savent travailler avec autant de cœur que de soin.
La Vague est parue aux éditions du Chemin de fer en octobre 2011. Conformément à l'esprit de la maison, le texte est confronté au regard d'un illustrateur. C'est ici l'artiste camerounais Barthélémy Toguo qui s'est immiscé dans le récit de Mingarelli.
La Source a été publié chez Cadex Editions en mars dernier dans l'élégante collection Texte au carré. La nouvelle est préfacée par Joël Eglof et rehaussée de deux encres de David Rebaud. 

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Des histoires d'hommes, encore et encore, et des histoires d'eau (seule demi-promesse de ces deux titres peu bavards)... L'univers d' Hubert Mingarelli nous emmaillotte à sa façon et sans détour.


Avec la Vague, on se trouve à nouveau décroché à Port-au-Prince, ville d'escale et de violence où Mingarelli avait campé l'une des nouvelles de la Lettre de Buenos Aires. Dans cette dernière histoire, personne ne posait le pied sur le sol haïtien. L' équipage se trouvait consigné à bord parce qu'un homme avait été tué sur l'embarcadère. Deux marins contemplaient alors ce proche et lointain cadavre d'un pays dont ils ne sauraient rien. Un cadavre d'abord délesté de ses chaussures par un homme plus démuni encore et puis doucement veillé à même le sol par deux enfants. Ce spectacle leur (et nous) parvenait comme l'éclat tranchant d'un autre monde, indistinctement attentif et cruel.


La Vague nous parvient d'abord comme une sorte d'écho déformé de cette première nouvelle. Mais cette fois seuls deux hommes d'équipage se trouvent consignés. Tjaden se voit retenu à bord en raison d'une altercation avec son lieutenant. Tout vient de ce qu'il s'est permis de faire remarquer à son supérieur la peur que celui-ci a ressenti, et n'ose s'avouer, à l'instant où une vague a mal pris le navire. Le narrateur décide quant à lui de rester seulement auprès de son ami. Alors que tous les autres gars vont s'oublier dans les rues et les bordels de la ville, les deux marins restent à bord. Mais une rencontre s'improvise bientôt dans une cabane abandonnée tout près du navire à quai, par l'entremise d'un jeune garçon. On entre alors dans un temps suspendu où se tisse un huis-clos sur le fil du rasoir. Une parenthèse fragile en équilibre au-dessus de toutes les dérélictions : prostitution, pauvreté, solitude... Des sentiments fragiles se dénudent pourtant : l'amitié du narrateur et de Tadjen, leur projet d'élevage de poulet... L'amour du garçon pour cette jeune fille vers laquelle il rabat des clients. Un échange de confidences et de cigarettes entre le narrateur et ce garçon, qui lui rappelle son frère absent. Les deux attendent devant la cabane que les choses se passent entre Tjaden et la fille. Et puis tout bascule, dérape, un peu comme à la fin de Hommes sans mère, cet autre récit de Mingarelli, où quelques marins à l'escale pensaient se donner un répit en mêlant leur fatigue et leur besoin de tendresse au désarroi des putains et des joueurs de cartes d' un tripot d'Amérique centrale. Rien de spectaculaire ici, mais quelque chose qui se passe mal, qui égratigne et renvoie tout le monde dans les cordes.

Et le trait de Barthélémy Toguo relève adroitement cette discrète saignée qui innerve le texte. A la fois simples, étranges et crus, ses dessins s'effilochent à coups de pastel rouges et bruns, débordent sur le texte pour faire corps avec lui, donnent à voir quelque chose qui se trame à la frontière du fantasme et du rêve brisé.
Mais s'il y a bien du rêve brisé à la fin de ce texte, on continue quand même.
"Le lendemain on vit l'océan Atlantique. La houle était longue, le ciel courait au-dessus, nous dépassant sans cesse. Les quarts monotones nous bercèrent. Un jour succéda à un autre, comme s'il s'était toujours agi du même. Des oiseaux de mer, on n'en voyait plus."
Si certains écrivains sont maîtres dans l'art de la chute, Mingarelli excelle quant à lui dans quelque chose de plus délicat, de plus profond encore. Quelque chose comme un art du soupir...

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Avec la Source, on s'éloigne de la mer, des solitudes à quai et des "quarts monotones", pour retrouver cet autre cadre qui nourrit également l'écriture d' Hubert Mingarelli : la nature sauvage, au fond d'une province française rarement nommée où se jouent souvent d'autres passages, d'autres rencontres ou d'autres silences. On pense à plusieurs de ses nouvelles ou à des romans tels que la Beauté des Loutres.




George et Renzo sont deux frères. Ils se rendent en stop jusqu'au pied d'une gorge qu'ils vont gravir. Pour y faire quelque chose. Quelque chose de simple et de beau, qui n'a de sens que pour eux, un sens que l'on découvre doucement, à leur rythme. Difficile d'en dire beaucoup plus pour un texte si court et si justement mené dans sa densité. Disons qu'il y aura au bout de ce voyage un petit événement qui concerne leur père défunt, un ancien cheminot.
On peut aussi entrer dans ce texte par la brève mais belle préface de Julien Egloff. - qui se laissera tout aussi agréablement lire comme une postface. Egloff évoque bien cette force simple de Mingarelli, ces phrases limpides ou murmurées qui sont souvent les fruits d'un inquiétude qu'il s'agit de déjouer... le résultat d'un effort immense pour rester "à hauteur d'hommes".
Cette"hauteur d'hommes" donne le son le plus juste de l'œuvre deMingarelli. Et s'y tenir n'est jamais chez lui une marque de fabrique ou une afféterie, mais bien le résultat d'un effort qui se rejoue à chaque nouvelle histoire et dans chaque nouveau livre. Avec la Vague et la Source il nous offre encore deux beaux exemples de cette sorte d'inspiration intègre qui l'anime.
Alors qu'importe le ressac. Même si on a déjà eu ce goût-là dans la bouche, on en redemande.



Hubert Mingarelli,
La Vague. Editions du Chemin de fer. 2011
La Source. Cadex Editions. 2012.
Images : 1) Ressac (source) / 4) Hubert Mingarelli (source)

mardi 22 mai 2012

> Tel qu'en son jardin

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Peu d’auteurs ont fait un aussi prolixe ménage avec l’écriture que Louis Calaferte. Théâtre, poésie, récits, essais, journaux, correspondances.... Une production abondante dont l’accueil et l’audience furent extrêmement variables. Les adjectifs parfois oxymoriques qui pleuvent rapidement lorsque la critique tente de rendre compte du tempérament de son œuvre semblent souvent nous en éloigner davantage : scandaleux, mystique anarchiste, laïque amoureux de Dieu, pornographique, révolutionnaire, misanthrope, humaniste…Quelque chose nous glisse entre les doigts. On aura à peu près tout entendu à son sujet et rien n’est totalement faux. Il lui est d’ailleurs arrivé à Calaferte de se dédire voire de renier certains de ses textes (comme son tout premier, Requiem des innocents). Il aura pourtant, quelles que soient les influences que l’on puisse lui reconnaître ou les paternités viscérales qu’il se sera lui-même attribuées, tracé une longue route en littérature, une route hargneuse, entêtée, en dehors des modes et souvent des questions qui agitaient les débats du moment. Il fut un intempestif buté, un inspiré boulimique qui ne pouvait rien laisser en dehors du champ de l’écriture… Si ce n’est, peut-être, quand il peignait, son autre et plus secrète activité.

Il y a des écrivains dont l’œuvre submerge le lecteur. On n’y entre et on n’en sort plus avant d’avoir fait le tour du propriétaire. Je ne pense pas que Calaferte suscite ce genre d’apnée. Ses textes sont trop osseux, nourris d’une rage charnelle qui ne concède rien à la rédemption par le style. Il faut s’y heurter, s’y fatiguer, faire une pause, y revenir dans les aléas d’une vie de lecteur. Certes, tout ce qu’il a écrit n’a pas la force sulfureuse de Septentrion ou de Mécanique des femmes, la verticalité brute de la Guerre, la poésie des Fontaines silencieuses. On déambule parfois dans son œuvre comme dans une auberge espagnole où l’on trouvera aussi des redondances, des indignations attendues, des coups de gueule à l’emporte-pièce. Ne nous avait-il pas prévenu, lorsqu’il disait :

«Je préfère qu'on me reproche d'oser tout dire plutôt que de n'avoir rien eu à dire et de l'avoir dit quand même, comme tant d'autres».


Oser tout dire, dans un long coup de sang qui n’aura pris fin qu’avec le dernier mot. Cette volonté infatigable de mettre le réel au pas de l’écriture - et vice-versa - aura sans doute trouvé son mode d’expression le plus accompli, le plus rythmé, dans son travail de diariste. Calaferte a tenu ses Carnets durant quarante ans et ce chemin parallèle a occupé une part de plus en plus prépondérante dans son œuvre. Il a plusieurs fois été tenté de ne plus être que cela : un écrivain de la vie au jour le jour. Et d’abandonner tout le reste. Plusieurs de ses carnets sont parus après sa mort et, dans le flux des rééditions ponctuées par la parution régulière de quelques textes inédits, le dernier journal de Calaferte serait presque passé inaperçu. Le Jardin fermé, tel est son titre, a été publié en 2010 chez Gallimard (l’Arpenteur). Il s’ouvre le 1erjanvier 1994 sur « la manipulation psychique des masses » pour se refermer le 19 avril de la même année sur « la chair lumineuse de Dieu ». Encore peut-être l’un de ces ponts dont lui seul avait le secret. Calaferte meurt deux semaines plus tard à la clinique Clément-Drevon de Dijon. Deux semaines de silence, triste record auquel l’aura contraint les dernières affres de la maladie.

Devant ce texte, pensera-t-on, le lecteur se trouve à nouveau dans la posture du voyeur : il connaît l’issue et suit le sillon d’une écriture qui accompagne la vie jusqu’à son dernier terme possible. Sans doute va-t-il assister à un dernier bras de fer avec les mots, mesurer jusqu’où ils peuvent tenir. En 1994, Calaferte est le plus souvent rivé à son fauteuil ou à son lit d’hôpital. Le mal qui lui ronge les os gagne du terrain. Pourtant il compose le plus souvent avec la souffrance et la maladie bien plus qu’il ne les prend pour objets ou ne leur livre un long combat à coup de phrases. La maladie, il cohabite avec elle depuis de nombreuses années déjà et on a l’impression que ce sujet est sans doute, sur le fond, celui qui l’intéresse le moins. Ce qui l’intéresse, envers et contre tout, c’est ce qui lui reste à vivre. Ni grandeur d’âme face à l’inadmissible déchéance, ni observation méticuleuse de celle-ci. Juste une foulée qui se poursuit comme elle peut, dans un souffle qui se fait lui-même de plus en plus court. L’écriture occupe l’espace qui lui reste pour tenter de dire encore ce qui est vivant : la beauté frémissante d’une « poudre printanière dans le ciel », comme une incise de lumière entre deux blocs de douleur ; la mémoire de la littérature, quand il parvient encore à lire, au goutte-à-goutte ; l’évocation de quelques projets d’édition ou de réédition en cours, dernières cordes raides tendues vers le monde. Il y a tout cela et bien d’autres choses, comme, tout à frac, des noms, ceux des auteurs qu’il n’a cessé d’aimer (Lautréamont, Céline, Gide, Katherine Mansfield…), ceux qu’il n’a jamais pu déglutir (Goethe, Claudel), des souvenirs, des digressions philosophiques d’un intérêt relatif rachetées aussitôt par quelques intuitions lumineuses ou quelques morsures acides. Et puis une rage qui ne veut pas s’éteindre, une rage au service de laquelle se range le plus commun des regrets : « Ravoir vingt ans et poser des bombes », lâche Calaferte dans une sorte de reprise libertaire du « Ô môme, avoir ton âge » qui clôt l’une des strophes célèbres du Condamné à mort de Genet.

Mais peu à peu le corps déplorable envenime le texte, l’oblige à se rétracter. On pense parfois à la Doulou de Daudet. Et l’on assiste au décompte avare des moments de répit, de plus en plus brefs.

Lorsqu’il arrive que l’humour pointe derrière la gravité du propos, ce n’est pas tant sous l’effet d’une poussée d’autodérision héroïque que sous la cognée. Si l’on sait où taper, le réel , dans toute sa vérité, rend parfois un son dramatiquement cocasse :

« Mystères de la médecine. Je n’ai rien nulle part, mais j’ai mal partout ».

Un cocasse qui devient absurdité vécue dans cette abrupte non-leçon que nous inculque la douleur.

« La souffrance est à ce point inutile qu’elle n’enseigne pas même à souffrir ».

Et pourtant, derrière ce fatras d’instants vécus et écrits jusqu’au bord du vide, on repart du dernier jardin de Calaferte avec une étonnante impression : celle d’avoir entrevu une capacité d’indignation et d’émerveillement demeurée intacte jusqu’au bout. Quelque chose qui curieusement, douloureusement, déborde de vie.




Louis Calaferte, Le Jardin fermé - Carnets XVI, 1994. Editions Gallimard /L'Arpenteur. 2010.


Images : 1) Léo Divendal (source) / 3) Jardin (source)