jeudi 25 octobre 2018

> Le poème du jeudi (#76)




Cimetière juif


Forêt de pierres, sans tombes remarquables, rien pour s’agenouiller,
et pour fleurs, rien. Une pierre est là si étroite, comme
se jetant au cou des autres, aucune sans penser aux autres,
et accordant aux vivants l’espace d’une fente pour passer,
sans deuil Qui atteint la sortie n’a pas la mort, mais le jour au cœur.



Ingeborg Bachmann, Toute personne qui tombe a des ailes (Poèmes 1942-1967). Poésie/Gallimard, 2015.

jeudi 18 octobre 2018

> Le poème du jeudi (#75)




Elle n’est personne
pourtant son ombre traverse les maisons endormies
étrangle les lampes
et laisse une trace de suie sur la vaisselle

On l’a trouvée enchaînée au fleuve
ses enfants dans son ventre devenus cailloux

Elle n’accusa personne
son sac d’abeilles traînait sur la berge
mortes en couches leur sang chagrinait l’herbe
le mâle aveuglé par les larmes n’a rien vu

Elle est rentrée dans nos jardins avec sa propre pluie
mélange de bruyère et de brouillard
auxquels elle ajoute un peu de tempête et de frayeur

 /

Vénus Khoury-Ghata, Les mots étaient des loups. Poésie Gallimard, 2016

jeudi 11 octobre 2018

> Le poème du jeudi (#74)



Dans l’ancien lavoir

La robe que portait la demoiselle
quelques jours avant la guerre
ne ressemblait pas à celle qu’elle portait
après la guerre. E c’était la même.
Je l’ai plongée dans le bassin du lavoir.
Je l’ai inondée de savons parfumés.
Je l’ai faite tourner dans l’eau
exhalant sa vapeur en soupirs vers le plafond.
Je suis arrivé à l’étouffer de soins et d’amour,
la demoiselle. Pas la robe.

/

Dinu Flamand, in Poèmes en apnée. La Différence 2012. Traduit du roumain par Pierre Drogi.

jeudi 4 octobre 2018

> Le poème du jeudi (#73)




elle a dit aimer

voulu savoir pour lui

a dit aussi aimer comment il suce
que cela la mouille

que c’est bon
mouiller
c’est à elle
à moi

personne ne peut comprendre
comment c’est dans son corps
quand elle mouille
dedans
et coule

avec sa voix
ses mots

elle voudrait pourtant lui faire connaître
tout lui dire de ce que cela dit
avec sa tête à lui
dedans
pour mieux entendre
cette voix
et aucune
et rien d’autre

/

Julien Bosc, in Le Corps de la langue. Quidam, 2016.