mardi 4 octobre 2011

> Promenade dans un parc - Louis Calaferte

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Promenade dans un parc est un recueil de textes courts que l’on aura peut-être déjà croisé dans l’œuvre prolifique de Louis Calaferte. Publié en 1987 chez Denoël, il reparaît aujourd’hui dans la collection l’Imaginaire de Gallimard. Réédition qui nous permet de constater combien ce livre (qui est loin d’être le plus connu de l’auteur de Septentrion et de la Mécanique des femmes) bat encore d’un sang neuf et pose un regard tranchant et décalé sur une modernité qui n’a pas pris une ride. Dans une note postée sur son blog, les Ruines circulaires, Bustos soulignait la présence notable, en cette rentrée littéraire, de romans relevant de la contre-utopie et qui semblent vouloir révéler «les symptômes secrets des dysfonctionnements de notre monde». Ecrites il y a presque quinze ans, ces proses de Calaferte offrent pourtant un bel écho à la tendance dystopique actuelle. Le parc où l’on nous promène est le jardin zoologique dans lequel se délite lentement une humanité réduite à sa face obscure. Les petits travers y ont été dopés, les bobos sont devenus des plaies purulentes et l’égoïsme, la cruauté, la solitude constituent la nourriture quotidienne d’une société en chute libre. Navigant entre l’étrange, l’anticipation sociétale, et le réalisme sarcastique, Calaferte compose ici une mosaïque de personnages dont la réclusion prend des formes diverses mais qui sont tous confrontés, de près ou de loin, au plus sombre d’eux-mêmes et de leur prochain.





Un fils qui crève régulièrement de peur en se jetant dans le vide pour apprendre à voler, comme son père, lui, y parvient si aisément.

Un nouveau-né emmailloté de bleu qui se voit contraint d’assurer, par ses gestes naturellement maladroits, la circulation routière au carrefour d’une grande ville.

Une araignée suicidaire qui se retrouve malencontreusement suspendue à un fil de sa toile au moment du grand saut

Un homme tronc, obèse, aveugle et gélatineux, érigé en star du comique.

Des aïeux qui endossent le rôle de cafards nuisibles au cours de jeux routiniers et cruels.

Des enfants quotidiennement fusillés dans le cadre de rituels que leur imposent leurs parents.

Un homme discret et tout à fait ordinaire devenu, sans qu’il comprenne pourquoi, célèbre au point que l’on connaît ses moindres faits et gestes sur les quatre continents.

Voici quelques unes des scènes que l’on peut contempler dans le grand parc de Calaferte. S'il joue sur une large gamme de situations pour laisser transparaître différentes formes de déchirement, on retrouve un certain nombre de figures récurrentes.

Il y a par exemple des solitaires, beaucoup de solitaires. Des solitaires qui ont été lâchés par tous et par tout ou au contraire des reclus volontaires s’efforçant de préserver leur imperméabilité aux autres et au monde. Mais finalement, la différence est bien mince et la solitude, qu’elle soit subie ou phobique, porte toujours la trace des blessures du monde. On pense par exemple à cet homme qui, éternellement assis sur sa chaise, ne perçoit plus ce qui lui est extérieur que par les infimes tressaillements de son parquet. Ou à cet autre qui se calfeutre chez lui et, tel le héros du Silenciaire d'Antonio Di Benedetto, voudrait finalement éradiquer de son environnement toute forme de perception sonore.

Autre leitmotiv, celui de la ville, toujours hostile, inquiétante : la ville où l’on se perd, la ville où l’on ne vous attend plus, la ville où l’on ferme la gare à double tour avant de vous laisser rejoindre les ombres qui s’y sont déjà dissipées.

La force de ces textes tient aussi dans leur accointance avec le réel. Non pas simplement parce que les dérapages fantastiques de Calaferte se nourrissent d’excroissances bien humaines mais aussi parce que certains récits se rétractent soudain vers des situations tout à fait réelles ou d’un réalisme à peine « tremblé », qui mettent en scène des expulsés, des internés, des déclassés, des mal logés. Tout le talent de Calaferte consiste alors, dans la proximité qu’il établit entre ces témoignages si proches de nous et d’autres histoires plus extravagantes, à nous faire ressentir la misère sociale la plus tangible comme une énormité digne de la littérature d’anticipation. Si les cauchemars d’aujourd’hui sont les réalités de demain, les mauvais trips d’hier ressemblent bien à la réalité d’aujourd’hui.

La déviance introduite par rapport au réel est parfois forte parfois plus légère. De même, si l’effet de chute peut être au bout du récit, on reste aussi souvent en suspension. Et la souffrance résonne à tous les diapasons. Il est ainsi aussi pénible, douloureux et au final inconcevable de s’égarer à quelques mètres de son appartement que d’être perdu en pleine forêt au milieu de la nuit

«Un seul point doit occuper ma pensée, comme le feraient les données d’un problème d’arithmétique élémentaire : en deux ou trois enjambées je puis me retrouver chez moi, mais il se peut également que cette distance en apparence négligeable soit la plus considérable de celles que j’aie jamais eu à parcourir. L’erreur d’appréciation ne m’est donc pas permise.»

La peur ne se mesure pas tant à la volumétrie objective des événements auxquelles elle s’accorde qu’à son intensité. Le doute peut surgir partout et à tout instant et les êtres que campe Promenade dans un parc sont friables à souhait. La fragilité profonde qui les habite peut se manifester à de grandes comme à de petites occasions. Certains sont meurtris qu’on ne les applaudisse pas quand ils parlent ou qu’on ait oublié leur nom. D’autres sont réduits en esclavage, martyrisés, affamés, rabaissés au rang d’objets ou d’animaux.

Et pourtant, pour décrire cet univers infernal ou nauséeux, Calaferte utilise ici un style d’une froide précision. Alors même que les personnages témoignent le plus souvent de leur sort à la première personne du singulier ou du pluriel, le rapport se veut le plus objectif possible et la langue a une tonalité presque juridique. On pense souvent au Kafka du Procès ou de la Métamorphose, alors que sur le fond, l’ironie cruelle et légère des premiers textes de Michaux n’est pas toujours si loin.

Par ces petits textes redoutables, sans doute Calaferte, nous invite-t-il simplement à dire non, acte qui lui semblait, pour peu qu’il soit conduit avec une certaine obstination, le plus politique qui soit….

En attendant, on pourra toujours quitter le parc avec, pourquoi pas celui-ci, un joli souvenir de nous-mêmes :
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«L’intelligence, murmurait-il, oui, l’intelligence… La raison, la logique, l’analyse, l’expérience réfléchie, la déduction, le savoir qui permettent de contrôler, de dominer choses et gens, le long, le long apprentissage des connaissances multiples, cette supériorité de la pensée…
Tout à sa méditation, le front plissé, les yeux graves, il sautillsait dans sa cage d’un point d’appui à un autre, indifférent aux appels bruyants des enfants agglutinés à l’extérieur des barreaux qui cherchaient à attirer son attention et à éveiller sa gourmandise en lui jetant des cacahuètes décortiquées. »

 
 
 
 
 
 
 
Louis Calaferte, Promenade dans un parc. L'Imaginaire Gallimard. 2011.
 
Images : 1) Caged-Humans (source) / 3) Louis Calaferte (source)

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