mardi 29 mai 2012

> Ressac











Depuis la Lettre de Buenos Aires (dont nous avions parlé ici), Hubert Mingarelli a encore fait paraître deux textes d'une cinquante de pages chacun, qui n'auraient pas dénoté dans ce dernier très beau recueil de nouvelles. Deux nouveaux copeaux de ce bois à la fois tendre et rugueux avec lequel l'auteur de Quatre soldats et d' Océan Pacifique bâtit son œuvre, originale, sensible, exigeante, depuis une vingtaine d'années. Et même si ces deux récits s'inscrivent parfaitement dans l'esprit de ce que l'on aura déjà pu lire de Mingarelli, le lecteur ne boude pas son plaisir de les accueillir en satellites et joliment mis en valeur par deux petits éditeurs qui savent travailler avec autant de cœur que de soin.
La Vague est parue aux éditions du Chemin de fer en octobre 2011. Conformément à l'esprit de la maison, le texte est confronté au regard d'un illustrateur. C'est ici l'artiste camerounais Barthélémy Toguo qui s'est immiscé dans le récit de Mingarelli.
La Source a été publié chez Cadex Editions en mars dernier dans l'élégante collection Texte au carré. La nouvelle est préfacée par Joël Eglof et rehaussée de deux encres de David Rebaud. 

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Des histoires d'hommes, encore et encore, et des histoires d'eau (seule demi-promesse de ces deux titres peu bavards)... L'univers d' Hubert Mingarelli nous emmaillotte à sa façon et sans détour.


Avec la Vague, on se trouve à nouveau décroché à Port-au-Prince, ville d'escale et de violence où Mingarelli avait campé l'une des nouvelles de la Lettre de Buenos Aires. Dans cette dernière histoire, personne ne posait le pied sur le sol haïtien. L' équipage se trouvait consigné à bord parce qu'un homme avait été tué sur l'embarcadère. Deux marins contemplaient alors ce proche et lointain cadavre d'un pays dont ils ne sauraient rien. Un cadavre d'abord délesté de ses chaussures par un homme plus démuni encore et puis doucement veillé à même le sol par deux enfants. Ce spectacle leur (et nous) parvenait comme l'éclat tranchant d'un autre monde, indistinctement attentif et cruel.


La Vague nous parvient d'abord comme une sorte d'écho déformé de cette première nouvelle. Mais cette fois seuls deux hommes d'équipage se trouvent consignés. Tjaden se voit retenu à bord en raison d'une altercation avec son lieutenant. Tout vient de ce qu'il s'est permis de faire remarquer à son supérieur la peur que celui-ci a ressenti, et n'ose s'avouer, à l'instant où une vague a mal pris le navire. Le narrateur décide quant à lui de rester seulement auprès de son ami. Alors que tous les autres gars vont s'oublier dans les rues et les bordels de la ville, les deux marins restent à bord. Mais une rencontre s'improvise bientôt dans une cabane abandonnée tout près du navire à quai, par l'entremise d'un jeune garçon. On entre alors dans un temps suspendu où se tisse un huis-clos sur le fil du rasoir. Une parenthèse fragile en équilibre au-dessus de toutes les dérélictions : prostitution, pauvreté, solitude... Des sentiments fragiles se dénudent pourtant : l'amitié du narrateur et de Tadjen, leur projet d'élevage de poulet... L'amour du garçon pour cette jeune fille vers laquelle il rabat des clients. Un échange de confidences et de cigarettes entre le narrateur et ce garçon, qui lui rappelle son frère absent. Les deux attendent devant la cabane que les choses se passent entre Tjaden et la fille. Et puis tout bascule, dérape, un peu comme à la fin de Hommes sans mère, cet autre récit de Mingarelli, où quelques marins à l'escale pensaient se donner un répit en mêlant leur fatigue et leur besoin de tendresse au désarroi des putains et des joueurs de cartes d' un tripot d'Amérique centrale. Rien de spectaculaire ici, mais quelque chose qui se passe mal, qui égratigne et renvoie tout le monde dans les cordes.

Et le trait de Barthélémy Toguo relève adroitement cette discrète saignée qui innerve le texte. A la fois simples, étranges et crus, ses dessins s'effilochent à coups de pastel rouges et bruns, débordent sur le texte pour faire corps avec lui, donnent à voir quelque chose qui se trame à la frontière du fantasme et du rêve brisé.
Mais s'il y a bien du rêve brisé à la fin de ce texte, on continue quand même.
"Le lendemain on vit l'océan Atlantique. La houle était longue, le ciel courait au-dessus, nous dépassant sans cesse. Les quarts monotones nous bercèrent. Un jour succéda à un autre, comme s'il s'était toujours agi du même. Des oiseaux de mer, on n'en voyait plus."
Si certains écrivains sont maîtres dans l'art de la chute, Mingarelli excelle quant à lui dans quelque chose de plus délicat, de plus profond encore. Quelque chose comme un art du soupir...

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Avec la Source, on s'éloigne de la mer, des solitudes à quai et des "quarts monotones", pour retrouver cet autre cadre qui nourrit également l'écriture d' Hubert Mingarelli : la nature sauvage, au fond d'une province française rarement nommée où se jouent souvent d'autres passages, d'autres rencontres ou d'autres silences. On pense à plusieurs de ses nouvelles ou à des romans tels que la Beauté des Loutres.




George et Renzo sont deux frères. Ils se rendent en stop jusqu'au pied d'une gorge qu'ils vont gravir. Pour y faire quelque chose. Quelque chose de simple et de beau, qui n'a de sens que pour eux, un sens que l'on découvre doucement, à leur rythme. Difficile d'en dire beaucoup plus pour un texte si court et si justement mené dans sa densité. Disons qu'il y aura au bout de ce voyage un petit événement qui concerne leur père défunt, un ancien cheminot.
On peut aussi entrer dans ce texte par la brève mais belle préface de Julien Egloff. - qui se laissera tout aussi agréablement lire comme une postface. Egloff évoque bien cette force simple de Mingarelli, ces phrases limpides ou murmurées qui sont souvent les fruits d'un inquiétude qu'il s'agit de déjouer... le résultat d'un effort immense pour rester "à hauteur d'hommes".
Cette"hauteur d'hommes" donne le son le plus juste de l'œuvre deMingarelli. Et s'y tenir n'est jamais chez lui une marque de fabrique ou une afféterie, mais bien le résultat d'un effort qui se rejoue à chaque nouvelle histoire et dans chaque nouveau livre. Avec la Vague et la Source il nous offre encore deux beaux exemples de cette sorte d'inspiration intègre qui l'anime.
Alors qu'importe le ressac. Même si on a déjà eu ce goût-là dans la bouche, on en redemande.



Hubert Mingarelli,
La Vague. Editions du Chemin de fer. 2011
La Source. Cadex Editions. 2012.
Images : 1) Ressac (source) / 4) Hubert Mingarelli (source)

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