Depuis la
Lettre de Buenos Aires (dont nous avions parlé ici), Hubert Mingarelli
a encore fait paraître deux textes d'une cinquante de pages chacun, qui
n'auraient pas dénoté dans ce dernier très beau recueil de nouvelles. Deux
nouveaux copeaux de ce bois à la fois tendre et rugueux avec lequel l'auteur de Quatre
soldats et d' Océan Pacifique bâtit son œuvre, originale, sensible,
exigeante, depuis une vingtaine d'années. Et même si ces deux récits
s'inscrivent parfaitement dans l'esprit de ce que l'on aura déjà pu lire de Mingarelli,
le lecteur ne boude pas son plaisir de les accueillir en satellites et joliment
mis en valeur par deux petits éditeurs qui savent travailler avec autant de
cœur que de soin.
La Vague est parue
aux éditions du Chemin de fer en octobre 2011. Conformément à l'esprit de la
maison, le texte est confronté au regard d'un illustrateur. C'est ici l'artiste
camerounais Barthélémy Toguo qui s'est immiscé dans le récit de
Mingarelli.
La Source a été publié chez Cadex Editions en
mars dernier dans l'élégante collection Texte au carré. La nouvelle est
préfacée par Joël Eglof et rehaussée de deux encres de David Rebaud.
Des
histoires d'hommes, encore et encore, et des histoires d'eau (seule
demi-promesse de ces deux titres peu bavards)... L'univers d' Hubert
Mingarelli nous emmaillotte à sa façon et sans détour.
Avec la Vague,
on se trouve à nouveau décroché à Port-au-Prince, ville d'escale et de violence
où Mingarelli avait campé l'une des nouvelles de la Lettre de Buenos Aires. Dans cette dernière histoire, personne ne
posait le pied sur le sol haïtien. L' équipage se trouvait consigné à bord
parce qu'un homme avait été tué sur l'embarcadère. Deux marins contemplaient
alors ce proche et lointain cadavre d'un pays dont ils ne sauraient rien. Un
cadavre d'abord délesté de ses chaussures par un homme plus démuni encore et
puis doucement veillé à même le sol par deux enfants. Ce spectacle leur (et
nous) parvenait comme l'éclat tranchant d'un autre monde, indistinctement
attentif et cruel.
La Vague nous
parvient d'abord comme une sorte d'écho déformé de cette première nouvelle.
Mais cette fois seuls deux hommes d'équipage se trouvent consignés. Tjaden se
voit retenu à bord en raison d'une altercation avec son lieutenant. Tout vient
de ce qu'il s'est permis de faire remarquer à son supérieur la peur que
celui-ci a ressenti, et n'ose s'avouer, à l'instant où une vague a mal pris le
navire. Le narrateur décide quant à lui de rester seulement auprès de son ami.
Alors que tous les autres gars vont s'oublier dans les rues et les bordels de
la ville, les deux marins restent à bord. Mais une rencontre s'improvise
bientôt dans une cabane abandonnée tout près du navire à quai, par l'entremise
d'un jeune garçon. On entre alors dans un temps suspendu où se tisse un
huis-clos sur le fil du rasoir. Une parenthèse fragile en équilibre au-dessus
de toutes les dérélictions : prostitution, pauvreté, solitude... Des sentiments
fragiles se dénudent pourtant : l'amitié du narrateur et de Tadjen, leur projet
d'élevage de poulet... L'amour du garçon pour cette jeune fille vers laquelle
il rabat des clients. Un échange de confidences et de cigarettes entre le
narrateur et ce garçon, qui lui rappelle son frère absent. Les deux attendent
devant la cabane que les choses se passent entre Tjaden et la fille. Et puis
tout bascule, dérape, un peu comme à la fin de Hommes sans mère, cet autre récit de Mingarelli, où quelques marins
à l'escale pensaient se donner un répit en mêlant leur fatigue et leur besoin
de tendresse au désarroi des putains et des joueurs de cartes d' un tripot
d'Amérique centrale. Rien de spectaculaire ici, mais quelque chose qui se passe
mal, qui égratigne et renvoie tout le monde dans les cordes.
Et le trait
de Barthélémy Toguo relève adroitement cette discrète saignée qui innerve le
texte. A la fois simples, étranges et crus, ses dessins s'effilochent à coups
de pastel rouges et bruns, débordent sur le texte pour faire corps avec lui,
donnent à voir quelque chose qui se trame à la frontière du fantasme et du rêve
brisé.
Mais s'il y
a bien du rêve brisé à la fin de ce texte, on continue quand même.
"Le lendemain on vit l'océan Atlantique. La houle
était longue, le ciel courait au-dessus, nous dépassant sans cesse. Les quarts
monotones nous bercèrent. Un jour succéda à un autre, comme s'il s'était
toujours agi du même. Des oiseaux de mer, on n'en voyait plus."
Si certains
écrivains sont maîtres dans l'art de la chute, Mingarelli excelle quant à lui
dans quelque chose de plus délicat, de plus profond encore. Quelque chose comme
un art du soupir...
***
Avec la Source, on s'éloigne de
la mer, des solitudes à quai et des "quarts monotones", pour
retrouver cet autre cadre qui nourrit également l'écriture d' Hubert
Mingarelli : la nature sauvage, au fond d'une province française rarement
nommée où se jouent souvent d'autres passages, d'autres rencontres ou d'autres
silences. On pense à plusieurs de ses nouvelles ou à des romans tels que la Beauté des Loutres.
George et
Renzo sont deux frères. Ils se rendent en stop jusqu'au pied d'une gorge qu'ils
vont gravir. Pour y faire quelque chose. Quelque chose de simple et de beau,
qui n'a de sens que pour eux, un sens que l'on découvre doucement, à leur
rythme. Difficile d'en dire beaucoup plus pour un texte si court et si
justement mené dans sa densité. Disons qu'il y aura au bout de ce voyage un
petit événement qui concerne leur père défunt, un ancien cheminot.
On peut
aussi entrer dans ce texte par la brève mais belle préface de Julien Egloff.
- qui se laissera tout aussi agréablement lire comme une postface. Egloff
évoque bien cette force simple de Mingarelli, ces phrases limpides ou
murmurées qui sont souvent les fruits d'un inquiétude qu'il s'agit de
déjouer... le résultat d'un effort immense pour rester "à hauteur d'hommes".
Cette"hauteur
d'hommes" donne le son le plus juste de l'œuvre deMingarelli.
Et s'y tenir n'est jamais chez lui une marque de fabrique ou une afféterie,
mais bien le résultat d'un effort qui se rejoue à chaque nouvelle histoire et
dans chaque nouveau livre. Avec la Vague et la Source il nous
offre encore deux beaux exemples de cette sorte d'inspiration intègre qui
l'anime.
Alors
qu'importe le ressac. Même si on a déjà eu ce goût-là dans la bouche, on en
redemande.
Hubert
Mingarelli,
La Vague.
Editions du Chemin de fer. 2011
La Source.
Cadex Editions. 2012.
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