Morvandiau ("chercheur
en sciences hypercognitives et intericoniques à l’université de
Vézin-le-Coquet")a un programme pour la France. Dommage que nous n’en ayons
guère entendu parler dans les feux de nos récentes campagnes. Nous connaissions
déjà quelques autres opuscules stimulants de la Marwanny Corporation qui, nous
rappelle-t-on dans les premières pages de l’ouvrage, promeut depuis 2007 "le développement personnel sans douleur",
et à laquelle on doit ce dernier petit bijou d’humour décalé et décapant. Une anonyme société et un comix-éditeur que nous
avions déjà vu à l’œuvre dans quelques brillantes parodies de méthodes
dernier cri pour s’auto-coacher à toutes
les sauces. Rappelons quelques titres aux programmes ambitieux tels que Niquer les autres (autrement dit Communiquer efficacement avec les autres) ou Winner ensemble. Sans oublier le
savoureux Plan social, remake
décomplexé (avant l’heure…) du Monopoly, un jeu de société où les parties se
gagnent au nombre maximum de licenciements et de délocalisations.
Cette fois on franchit un cap. Il s’agit d’un
programme pour la France, celui de Morvandiau. Un programme en 40 points et
autant d’illustrations. Le tout constitue un petit livret à la couverture bleu-blanc-rouge,
vendu pas cher, et qu’il faut impérativement se procurer… D’autant que l’on
peut être à peu près sûr que ce
programme sera encore largement d’actualité lors des prochaines
présidentielles.
Le principe est simple, mais il est joliment exploité.
On emprunte à l’univers politique des termes et des expressions figées qui
relèvent de champs divers : le social, l’économique, l’environnemental… On
"shake" bien tout cela et on nous sert, verre par verre, une quarantaine de
cocktails détonants. Le résultat
pourrait n’être que hasardeusement déjanté, les illustrations d’une loufoquerie
débridée. Une bonne blague entre copains anars sous acide. Mais l’on obtient
pourtant une série de slogans qui, s’ils frôlent souvent l’absurde, sont
pourtant beaucoup plus drôles et subtils. On ne saura jamais si les
combinaisons furent ou non aléatoires mais le fait est qu’elles titillent
souvent le sens. Les mots, ainsi drôlement arrangés, rebondissent comme des
balles de squash sur les murs de notre conscience politico-médiatique abrutie
de concepts préfabriqués.
Le sous-titre de ce programme, avec ses faux airs de
synthèse, en donne le la :
Pour
une gouvernance impactée en bon père de famille
Parfois, ça sonne clair, on pourrait croire à un
simple exercice d’ironie contestataire, à une forme de dénonciation masquée.
C’est L’enfance maltraitée garantie par
la constitution (1) ou encore le Patriotisme
à vie pour les primo-accédants multi-récidivistes (6). On pourrait, quelque
part, entendre un discours derrière l’effet d’humour.
Mais l’enjeu n’est pas tant dans la délivrance d’un
quelconque message que dans la mise à nu de cette grammaire de la langue de
bois qui fait notre pain quotidien. L’alphabet du jargon politique est pris à
contre-pied, passé joyeusement et délicatement au mixeur jusqu’à ce que l’on
puisse enfin entendre sa musicalité profonde : il sonne creux…
Droit
de vote à mobilité réduite pour tous les radars (7)
Alphabétisation
des frontières avec plus de 80% des suffrages fiscaux (20)
Une
politique familiale en faveur des congés parentaux enrichis à l’uranium (9)
Téléchargement
légal du recours à la force (29)
Peu à peu on se laisse prendre dans les filets de
sens, de faux-sens et de contre-sens de ces effets d’annonces enfilées comme
des perles.
L’autre intérêt de ce programme morvandiesque réside
dans les illustrations qui accompagnent les slogans. Les dessins sont sobres,
leur trait classique. On est beaucoup
plus près du croquis réaliste que de la caricature ou du non-sense illustré.
Quelques possibles visages connus refont de temps à autre surface, un peu par
hasard et parfois sans rapport d’intention particulier avec le slogan retenu. Comme
s’il s’agissait juste de nous raccorder vaguement à l’arrière-plan familier
dont provient ce magma de mots pour tout dire et ne rien dire : ici un
ancien président, là une chanteuse de Mille colombes, ailleurs une
académicienne… Pourtant les visages ne sont jamais si proches que lorsqu’ils sont
anonymes. On croirait les avoir déjà vus , les reconnaître. On se promène de
l’autre côté du miroir, mais pas très loin, sur une scène où les mots ont été
un peu secoués, mais où les formules qui surgissent n’ont parfois guère moins
de sens que celles qu’on nous rabâche à longueur de campagne.
Et toutes les promesses sont à nouveau possibles,
comme, pourquoi pas, la garantie d’un
taux à visage humain… Celle-là, on jurerait l’avoir déjà entendue
quelque part...
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