Il y a d'abord la photo
de couverture qui attire vaguement mon attention. Une fourgonnette sur une
route déserte transportant un empilement de matelas pas tout neufs. C'est un
lundi, j'irais bien, moi aussi, traîner mes rêves ailleurs. Et puis j'aime bien
le titre, légèrement oxymorique, sans prétention, et qui fond sur la langue
comme une bouchée de sucré-salé. J’ai
glissé sur le monde avec effort, joli programme. Des poèmes, nous prévient-on
sous le titre, sans tourner autour du pot. L'auteur s'appelle Fabien Sanchez. Connais
pas, pas encore. A ne pas confondre, en tout état de cause et malgré le titre de l'ouvrage avec l'athlète homonyme, ancien coureur cycliste sur piste. Pour ce qui
est de celui-ci, il s'agirait de sa première avancée déclarée en poésie de poète...
Je ne sais pas que je lirai bientôt (après cet ouvrage et comme guidé par lui)
son dernier recueil de nouvelles, Ceux
qui ne sont pas en mer, morceaux de vie dans le vif (la sienne ou d'autres, peu importe), tout en mélancolie,
drôles, râpeuses et promesses, déjà, de poésie.
Et puis il y a
l'éditeur, La Dragonne. Je repense à un récent Mingarelli, à Antoine Choplin
(pour Cairns) et je sais que j'y ai lu ou vu d'autres belles choses, dont pour
l'heure, je ne me souviens plus. Je retrouverai notamment dans ma bibliothèque
Gaetaño Bolán (qui fut une surprise),un texte du Philippe Claudel d'avant la gloire pour
accompagner des photographies sur Cuba et les Histoires secrètes de Pierre Autin-Grenier. On ne se moque donc de personne.
Parfois, on ne sait pas
ce qui nous pousse à ouvrir un livre, à vouloir l’adopter. Les quatrièmes de
couv me parlent généralement assez peu. Je préfère les inventer pour moi
après avoir lu le livre. Alors autant passer dedans, aller tâter directement le son de
la lettre. Et la poésie laisse parfois plus facilement musarder que la prose
(quoique…). Il y a tout de suite chez Fabien Sanchez, même en allant vite, des
brins de choses qui ralentissent la course, des images qu’on croirait avoir
vues ou de petites échardes oubliées qui se refont alertes.
« Enfin,
/ le passage d’un cirque / ne laisse aux enfants / que des traces d’Afrique /
et le regret / des géants »
On décélère aussi, car
il nous y invite souvent, de manière simple et convaincante, pour se suspendre
à rien, à ce qui passe, à l’épaisseur de se sentir vivant.
« L’hiver
/ le passer au lit / que je ne quitterai que pour faire / des feux / dans ce
qui reste de mon âme »
Je feuillète ce recueil
et une musique me prend les doigts. Je reconnais tout de suite, pour mon
compte, cette « chose qui vient à
pas légers » et dont parlait si joliment Jacques Reda. Alors que
demande le peuple - des lecteurs ? On est toujours lundi et j’emporte avec
moi cette invitation à glisser sur le monde avec effort.
Je les lirai doucement
ces poèmes, pendant toute une semaine. J’en relirai certains. J’en aime la
chanson douce, les choses simples qui y circulent, un peu abîmées parfois. Une
sorte de nostalgie qui ne renonce pas tout à fait au présent. Il y a le
souvenir du père, ami penché avec son fils sur un livre de Neruda…
« un
regard adouci, / bienveillant, / un regard qui me dit d’être heureux. / De
préférer l’encre au sang. »
Le souvenir de pays
traversés, ici ou là, dans une sorte de road movie un peu traînant. Il en reste
quelques images épinglées, sans effet de spectacle, quelque chose comme une
poussière de vécu, parfois encore un peu étincelante. Berlin, un coin d’Afrique
ou d’Espagne, le Midi de l’enfance. Et l’enfance, justement, qui est peut-être
la grande affaire de ces poèmes. Une sorte de parole claire dont le poète est
tombé mais qui veille encore en lui comme une guetteuse attentive.
Pourtant, le soleil du sud natal
« traîne désormais sa silhouette dans le ciel des pauvres ».
L’enfance a été
consommée sans qu’on le sache, pourrait-on dire et elle prend finalement la forme d’un rendez-vous
manqué qui est toujours au bout de ce que l’on cherche
« Comment
dire son absence / à mes côtés ? / Aujourd’hui / je l’aperçois / dévaler la
plaine / - elle aura bien un cheval pour moi. »
Parfois, ailleurs, le
vers de Fabien Sanchez prend un peu d’emphase, l’élégie se relâche par le haut. Mais cela ne dure
jamais très longtemps et le blues ou le souvenir ému savent retrouver la juste
mesure d’une écriture forte, personnelle et tempérée.
La littérature et les
livres ont aussi leur place dans ce monde parcouru. On sait ce qui leur est dû.
Malcolm Lowry, Hemingway, Neruda, Cendrars font de brèves apparitions qui
laissent pudiquement entrevoir un plus long compagnonnage. Et il y a aussi
cette lettre, étonnante et sensible, adressée à Henry Miller. Un texte en prose qui clôt le recueil.
Fabien Sanchez y déroule à la fois une sorte d’adieu à ses
bourlingues révolues, brûlées dans l’ombre de l’écrivain américain, et un hommage à cet homme
qui aura su faire durer son enfance, la tenir en liesse, jusqu’au terme de ses vieux jours.
Je lis Fabien Sanchez
et je me demande à quoi ça sert, la poésie. Vaste question, se dira-t-on, qui
appelle sans doute de vastes réponses. Et pourtant on peut bien y associer des
mots, par ces temps pressés, où le temps de vivre nous est souvent volé, où
tant de forces conjuguées se déploient pour nous détourner souvent du
plus simple, de l'essentiel en somme : répit, colmatage, coussin d’air, salubre invitation à lever le
pied, à se poser sur nos biens communs, nos pertes partagées...
Il y a dans J’ai glissé sur le monde avec effort une
voix touchante et simple, une voix que l’on a envie de garder près de soi.
Sait-on jamais à quoi peut servir un poète ? Fabien Sanchez en a une idée,
lorsqu’il se promène, par exemple, avec un livre de Seamus Heaney dans sa poche :
« Un
poète encore / pour les moments où tout craque et lasse et blesse »
He descendido sin aparente esfuerzo, deslizando en el camino, que nos lleva, definitivamente, al recuerdo.
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