vendredi 8 juin 2012

> Fabien Sanchez : le sens doux de l'effort










  
Il y a d'abord la photo de couverture qui attire vaguement mon attention. Une fourgonnette sur une route déserte transportant un empilement de matelas pas tout neufs. C'est un lundi, j'irais bien, moi aussi, traîner mes rêves ailleurs. Et puis j'aime bien le titre, légèrement oxymorique, sans prétention, et qui fond sur la langue comme une bouchée de sucré-salé. J’ai glissé sur le monde avec effort, joli programme. Des poèmes, nous prévient-on sous le titre, sans tourner autour du pot. L'auteur s'appelle Fabien Sanchez. Connais pas, pas encore. A ne pas confondre, en tout état de cause et malgré le titre de l'ouvrage avec l'athlète homonyme, ancien coureur cycliste sur piste. Pour ce qui est de celui-ci, il s'agirait de sa première avancée déclarée en poésie de poète... Je ne sais pas que je lirai bientôt (après cet ouvrage et comme guidé par lui) son dernier recueil de nouvelles, Ceux qui ne sont pas en mer, morceaux de vie dans le vif (la sienne ou d'autres, peu importe), tout en mélancolie, drôles, râpeuses et promesses, déjà, de poésie.

Et puis il y a l'éditeur, La Dragonne. Je repense à un récent Mingarelli, à Antoine Choplin (pour Cairns) et je sais que j'y ai lu ou vu d'autres belles choses, dont pour l'heure, je ne me souviens plus. Je retrouverai notamment dans ma bibliothèque Gaetaño Bolán (qui fut une surprise),un texte du  Philippe Claudel d'avant la gloire pour accompagner des photographies sur Cuba et les Histoires secrètes de Pierre Autin-Grenier. On ne se moque donc de personne.



Parfois, on ne sait pas ce qui nous pousse à ouvrir un livre, à vouloir l’adopter. Les quatrièmes de couv me parlent généralement assez peu. Je préfère les inventer pour moi après avoir lu le livre. Alors autant passer dedans, aller tâter directement le son de la lettre. Et la poésie laisse parfois plus facilement musarder que la prose (quoique…). Il y a tout de suite chez Fabien Sanchez, même en allant vite, des brins de choses qui ralentissent la course, des images qu’on croirait avoir vues ou de petites échardes oubliées qui se refont alertes.

« Enfin, / le passage d’un cirque / ne laisse aux enfants / que des traces d’Afrique / et le regret / des géants »

On décélère aussi, car il nous y invite souvent, de manière simple et convaincante, pour se suspendre à rien, à ce qui passe, à l’épaisseur de se sentir vivant.

« L’hiver / le passer au lit / que je ne quitterai que pour faire / des feux / dans ce qui reste de mon âme »

Je feuillète ce recueil et une musique me prend les doigts. Je reconnais tout de suite, pour mon compte, cette « chose qui vient à pas légers » et dont parlait si joliment Jacques Reda. Alors que demande le peuple - des lecteurs ? On est toujours lundi et j’emporte avec moi cette invitation à glisser sur le monde avec effort.

Je les lirai doucement ces poèmes, pendant toute une semaine. J’en relirai certains. J’en aime la chanson douce, les choses simples qui y circulent, un peu abîmées parfois. Une sorte de nostalgie qui ne renonce pas tout à fait au présent. Il y a le souvenir du père, ami penché avec son fils sur un livre de Neruda…

« un regard adouci, / bienveillant, / un regard qui me dit d’être heureux. / De préférer l’encre au sang. »

Le souvenir de pays traversés, ici ou là, dans une sorte de road movie un peu traînant. Il en reste quelques images épinglées, sans effet de spectacle, quelque chose comme une poussière de vécu, parfois encore un peu étincelante. Berlin, un coin d’Afrique ou d’Espagne, le Midi de l’enfance. Et l’enfance, justement, qui est peut-être la grande affaire de ces poèmes. Une sorte de parole claire dont le poète est tombé mais qui veille encore en lui comme une guetteuse attentive.
Pourtant, le soleil du sud natal « traîne désormais sa silhouette dans le ciel des pauvres ».
L’enfance a été consommée sans qu’on le sache, pourrait-on dire et elle prend finalement la forme d’un rendez-vous manqué qui est toujours au bout de ce que l’on cherche

« Comment dire son absence / à mes côtés ? / Aujourd’hui / je l’aperçois / dévaler la plaine / - elle aura bien un cheval pour moi. »

Parfois, ailleurs, le vers de Fabien Sanchez prend un peu d’emphase, l’élégie se relâche par le haut. Mais cela ne dure jamais très longtemps et le blues ou le souvenir ému savent retrouver la juste mesure d’une écriture forte, personnelle et tempérée.

La littérature et les livres ont aussi leur place dans ce monde parcouru. On sait ce qui leur est dû. Malcolm Lowry, Hemingway, Neruda, Cendrars font de brèves apparitions qui laissent pudiquement entrevoir un plus long compagnonnage. Et il y a aussi cette lettre, étonnante et  sensible, adressée à Henry Miller. Un texte en prose qui clôt le recueil. Fabien Sanchez y déroule à la fois une sorte d’adieu à ses bourlingues révolues, brûlées dans l’ombre de l’écrivain américain, et un hommage à cet homme qui aura su faire durer son enfance, la tenir en liesse, jusqu’au terme de ses vieux jours.

Je lis Fabien Sanchez et je me demande à quoi ça sert, la poésie. Vaste question, se dira-t-on, qui appelle sans doute de vastes réponses. Et pourtant on peut bien y associer des mots, par ces temps pressés, où le temps de vivre nous est souvent volé, où tant de forces conjuguées se déploient pour nous détourner souvent du plus simple, de l'essentiel en somme : répit, colmatage, coussin d’air, salubre invitation à lever le pied, à se poser sur nos biens communs, nos pertes partagées...

Il y a dans J’ai glissé sur le monde avec effort une voix touchante et simple, une voix que l’on a envie de garder près de soi. Sait-on jamais à quoi peut servir un poète ? Fabien Sanchez en a une idée, lorsqu’il se promène, par exemple, avec un livre de Seamus Heaney dans sa poche :

« Un poète encore / pour les moments où tout craque et lasse et blesse »

Ce qui n’est déjà pas si mal, vous en conviendrez.







Fabien Sanchez, J'ai glissé sur le monde avec effort. La Dragonne. 2012.

Images : 1) Marcher (source) / 3 Marcher (source)



1 commentaire:

  1. He descendido sin aparente esfuerzo, deslizando en el camino, que nos lleva, definitivamente, al recuerdo.

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