Cher Philippe,
Je ne vais donc pas vous demander
pour la énième fois en mariage. Ce serait compliqué. Ma femme ne comprendrait
pas, les vôtres non plus, sans compter qu’avec tous les livres en retard que j’ai
à lire, notre nuit de noces risquerait d’être déplorable.
Et puis chez vous, ne
nous le cachons pas, on doit se sentir un peu à l’étroit. Tout au moins si j’en
juge par votre dernier opus («roman» serait en-dessous et au-dessus
de la vérité) que vous qualifiez honnêtement de «fiction assistée». Il y a déjà
Trish, Barbara, Tammy, Carry, Rosa, Wulf, Pete, Sam, Carole, Sandra, Christina,
Maria, Lyne, Edi, Chad, Thomas, Glawdys, j’en passe et des meilleur(e)s. Ça
fait beaucoup dans un trois pièces. D’autant que malgré votre goût pour les
choses bien faites, il y règne, selon mes critères néo-libéraux, une certaine
forme de pagaille : on nage dans le plancher comme dans une eau boueuse,
on meurt de faim devant le frigo, le grand âge nous tombe sur le dos à chaque
coin de pièce, votre tête est assise sur le canapé pendant que vous faites l’amour
sous le lit, un pompier est installé dans la cuisine depuis des lustres, on
mange des hot-dogs, on prend feu, on s’éteint, on arrête la vie pour éviter de
mourir et on se refile des petites jupes vertes.
Je ne m’étendrai encore ni sur la couleur douteuse de votre descendance pléthorique, ni sur le temps ductile, ni sur l’espace flou. Pas plus que sur les contours ectoplasmiques et surdimensionnés des cadres socio-familiaux que vous croquez sous nos yeux sans que l’on vous ait jamais rien demandé. Oui, je préfère m’en tenir là. Je ne voudrais désespérer personne et il faut bien que vous vendiez vos livres.
Je ne m’étendrai encore ni sur la couleur douteuse de votre descendance pléthorique, ni sur le temps ductile, ni sur l’espace flou. Pas plus que sur les contours ectoplasmiques et surdimensionnés des cadres socio-familiaux que vous croquez sous nos yeux sans que l’on vous ait jamais rien demandé. Oui, je préfère m’en tenir là. Je ne voudrais désespérer personne et il faut bien que vous vendiez vos livres.
Sachez toutefois, cher Philippe,
que d’un certain point de vue, vous mériteriez le bagne.
Comme Jean Cagnard (dont le patronyme solaire danse d’ailleurs la rime riche avec «bagnard»), ses pluies d’écureuils et ses tendres égarements ; comme Raymond Queneau, dont certaines pages me feront rire encore après ma mort ; et comme quelques autres dangereux plumitifs qui font un usage immodéré de la liberté qu’écrire leur offre.
Comme Jean Cagnard (dont le patronyme solaire danse d’ailleurs la rime riche avec «bagnard»), ses pluies d’écureuils et ses tendres égarements ; comme Raymond Queneau, dont certaines pages me feront rire encore après ma mort ; et comme quelques autres dangereux plumitifs qui font un usage immodéré de la liberté qu’écrire leur offre.
Votre Vie des hauts plateaux distille des effluves nocifs de bonne humeur
désenchantée et de mélancolie réversible. Ce n’est pas bien. Les murs contre lesquels
on se gratte le dos nous jouent des tours de dupe et pendant ce temps,
il y a des écrivains sérieux qui continuent à parler sérieusement de choses
sérieuses.
C’est ainsi, mon cher Philippe, que rien n’avance et vice versa.
(A preuve, j’ai passé l’après-midi à vous écrire et la Poste est maintenant fermée)
(A preuve, j’ai passé l’après-midi à vous écrire et la Poste est maintenant fermée)
Alors cette fois, c’est sûr :
je ne vous épouserai jamais, vous
n’aurez jamais le Prix Goncourt et il vous arrivera encore plein de choses
étranges dans vos livres.
Vôtre bien vôtre,
Lecteur nombreux
Philippe Annocque, Vie des hauts plateaux. Editions Louise Bottu. 2014.
Très belle critique !
RépondreSupprimerEt en avant vers les hauts plateaux.
Rien de plus beau que l'écureuil, manque la noisette ; l'âme sœur !
RépondreSupprimer