Ça serait quoi, autre chose ?
Se perdre dans un bois
touffu ? Réaliser soudain, au sortir du bureau, que l’on pourrait «donner toutes ses dents» pour revivre quelques bribes
insignifiantes de son enfance ? Se réveiller en oisillon prédateur qui
attend la becquée dans son nid ? Contempler la trace de «la belle mue transparente qui brille dans
la lumière» laissée par le corps d’une femme couchée dans la luzerne ?
Croquer des anges à pleines dents ? Ressentir un beau jour ce qu’a pu être
la vie d’un homme qui s’est fané en contemplant le monde de sa fenêtre ?
Peut-être apprendre à voir,
entendre, sentir, ce qu’il y a de très lointain en nous ou reconnaître, juste
sous notre nez, ce que jamais l’on ne
voit.
Avec Autre chose, Thomas Vinau nous livre un beau recueil
de proses courtes, qui oscillent entre observation du quotidien et de digression
onirique. Mais la frontière entre les deux est ténue, il le sait bien : le
pas de côté qui nous mène dans les marges du réel n’est peut-être qu’un simple
pas enfin bien posé devant soi.
Thomas Vinau
ramasse, infatigablement. S’émerveille de ce qui passe entre les mailles du
filet – ou nous écorche doucement les yeux avec ce qui ne nous atteint plus.
Car s’il sait attraper le bonheur au vol comme personne, il
sculpte aussi au bord des solitudes silencieuses
Dans sa prose « Les
petits bouts », un homme abandonne les différentes parties de lui-même
au bord de la route « lourde
longue » qu’il parcourt, une route avec «trop de ciel derrière et trop de ciel devant». Il sème ses
poumons, ses mains, ses pieds, pour le prochain qui viendra.
Dans « Les
friandises », on croise un « gros
qu’est pas fini » et mange des lardons dans leur sachet plastique
comme « des bonbons à la crème de
sourire », ou une vieille femme qui en est là où elle est («Mémé copine») :
« Elle chantonne
en enfilant ses bas. Se brosse les dents. De la buée sort de sa bouche.
Personne à l’horizon. Elle hésite entre une cigarette et un cigarillo. Garde le
cigarillo pour le soir. S’enfile une gorgée de Ricklès. Peut-être plus tard, un
camionneur ou un paysan. Et puis on est jeudi, Monsieur Aspic ne devrait plus
tarder, son petit retraité, comme elle l’appelle. Elle attend là, toute seule,
au bord des champs glacés. Elle pense que son fils doit être au Japon
maintenant. Que les soldes ont commencé. Que Joe Dassin avait quelque chose de
spécial. »
On rencontrera encore un gardien de phare qui se souvient
d’un vers de Hugo, un homme qui
trouve un goût de cendre à la neige froide et grise qu’il goûte, une potence en
or que l’on dresse sur la place d’un village en fête, un père qui promet à son
fils qu’un jour, lorsqu’il sera adulte et l’aura oubliée, la chouette qui a
fait son nid dans le grenier se fera à nouveau entendre :
« Tu auras fait
ta part et pour te remercier elle reviendra un jour, à son tour, pour protéger
ta nuit et veiller sur ce qui en toi refusera de rompre.»
Au final, c’est sans doute dans l’attention et l’intensité d’un
regard que se cache « autre chose ».
Quartiers de rêves ou bribes de vie, les proses de Vinau sont des poèmes où ont poussé des histoires, à moins que ce
ne soit le contraire. Et il y a toujours cette écriture, légère et exigeante,
qui sait qu’il faut se pencher très bas pour cueillir le peu qui nous élève.
« Nous sommes des
chercheurs d’or. De sucre. De neige. On est là. Dans les grandes villes et les
petites routes. Dans les recoins du frigo. Par la fenêtre. A sucer des yeux
l’horizon. »
*
Voir aussi notre note sur son recueil de poèmes, Les derniers seront les derniers.
On pourra également consulter (hors ligne) l’entretien que l'auteur nous a accordé dans le N°1 de la revue La moitié du fourbi.
On pourra également consulter (hors ligne) l’entretien que l'auteur nous a accordé dans le N°1 de la revue La moitié du fourbi.
Thomas Vinau, Autre chose. Les Carnets du Dessert de Lune.
2015.
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