dimanche 8 novembre 2015

> En voie de disparition - Éric Pessan

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« Les livres constituent un trésor d’une foisonnante richesse. Ils nous guident dans l’existence et nous aident à vivre grâce aux nombreux personnages charismatiques qui s’y dressent promptement et nous montrent la voie. De plus, ils sont écrits par des êtres épanouis et heureux de consacrer leur vie à une activité aussi passionnante. » 

Voilà, en synthèse, ce que l’on ne trouvera pas dans le dernier ouvrage d’Éric Pessan


En voie de disparition est une variation composite et douce-amère autour de la littérature, du lecteur et de l’écrivain. Pessan triture, tacle, entaille, malaxe, malmène et il nous livre par petites touches une sorte d’autoportrait ironique. C’est drôle, libre et impertinent mais c’est aussi émouvant et d’une étonnante acuité.





« Joyeusement, on saigne les livres
   au cou
   une entaille franche
  et tout contenu s’échappe
  ne demeure qu’une pâle couverture
  et des pages sans vie »

C’est par cet égorgement joyeux que s’ouvre le petit recueil de textes courts d’Éric Pesssan, manière de traité hybride où se mêlent poèmes, constats, interrogations, divagations. Le tout, pourtant, tourne autour d’une seule et même question : le livre, ceux qui les lisent, ceux qui les écrivent et, plus fréquemment, de cet étrange « métier d’écrire » qui ne se laisse pas si facilement cerner. On a la curieuse impression, au fil des pages, que l’on nous jeté entre les mains, à défaut d’une patate chaude, un objet plus glissant qu’un savon. Quelque chose, toujours, manque pour qualifier ce qui pourrait faire « littérature »… . Convoquant le travail, l’enfance, la rage ou la nécessité, les écrivains inventent des « béquilles à la monomanie » qui les accapare. 


Quant aux recettes, elles tombent en poussière dès qu’on se penche sur elles :


« S’il suffisait de soulever le couvercle de la fosse septique
   pour alimenter le texte en drames vrais
   le métier serait à la portée
   de qui sait se boucher le nez. »


Quant aux livres eux-mêmes, et à leurs vertus curatives si souvent avancées, ils passent ici un joli mauvais quart d’heure. Pessan s’introduit librement dans quelques romans célèbres pour en extraire quelques fruits amers, déviants, fantaisistes. Une série de micro-réécritures qui interrogent avec beaucoup d’humour ce qui fait défaut, manque à l’appel et renvoie dans les cordes une certaine vision lénifiante de la littérature ou de ses personnages. 


Le  livre est-il solide comme un roc ou cassant comme du verre ? Voyez ce qui se produit lorsqu’Emma Bovary lui préfère soudain d’autres plaisirs solitaires.


« Si le livre qu’elle lisait a eu le mérite d’échauffer son esprit, il est maintenant impuissant à accomplir ce qu’un puis deux doigts plongés en elle fait monter le long de ses nerfs.
Tandis qu’elle jouit, le livre glisse de son genou et vient s’éclater au sol. Les feuilles s’échappent de la reliure brisée.
Quelle fragilité, pense-t-elle, honteuse. »


Quant à savoir si la littérature nous rend fort, nous protège ou nous prémunit, voilà la leçon que l’on peut tirer du Terrier de Kafka : 


« Lire m’a confirmé l’absolue certitude d’une douleur prochaine, d’une souffrance qui viendra puisqu’elle vient toujours, qu’elle fait partie intégrante du vivant. Lire a détruit mon illusion d’être à l’abri dans mon terrier. Je sais que la relative tranquillité dont je jouis éclatera comme une bulle un jour ou l’autre. Toutes les histoires contenues dans les livres enseignent qu’il ne faut pas se réjouir, qu’à la quiétude succède la violence, que mes petits bricolages ne me protègeront pas d’une attaque puisque l’ennemi est partout, même en moi. »


On trouvera encore 101 « tracasseries sans importance » dans lesquelles Pessan enfile comme des perles les épines qui taraudent le quotidien de celui qui écrit. Autant de mouches du coche qui accompagnent l’écrivain dans son voyage cahotant. Mais c’est peut-être dans la partie intitulée « Ta vie d’écrivain », qu’il se met le plus à la question. Un très beau texte, à la fois humble, juste et empreint d’une certaine gravité, qui évite les pièges tendus de l’auto-complaisance et de la blague potache dans lesquels quelques autres n’ont pas manqué de se précipiter. Voilà tout l’art de la délicatesse. La vraie.


Il y a pourtant un discret et vibrant happy-end à ce tableau corrosif, une concession qui arrive « cul par-dessus tête » à la dernière page du livre. Mais, ne serait-ce le plaisir de le lire, on s’en serait presque passé. Car derrière ce relevé d’insuffisances, de doutes, d’apories, de fausses pistes, se dessine en creux, et paradoxalement, ce que le lecteur ne manquera pas d’interpréter comme un hommage poignant à la littérature. Et à la maladie d’écrire.













Éric Pessan, En voie de disparition.  Éditions Al Dante / Le Triangle. 2015.





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