Qu’est-ce qui entre en résonance, me retient, me touche quand je lis ce texte plutôt qu’un autre ? Qu’est-ce qui vient m’habiter ou qu’est-ce qui fait que j’habite ce texte en tant que lecteur ? Qu’est-ce qui fait que je peux le relire sans épuiser ce qui s’est joué lors d'une première lecture ? Barthes demanderait encore : qu’est-ce qui, dans le texte que je lis, "me" désire ?
La question peut sans doute se poser pour la plupart des textes qui nous apportent un plaisir littéraire. Pour certains, voire beaucoup d’entre eux, des clés se présentent à nous. On peut arriver à identifier, même en lecteur éclectique, une partie des éléments qui contribuent à cette rencontre réussie avec le texte. On croisera sûrement différents paramètres : ce que l’on attend de la littérature, voire ce que l’on exige d’un texte pour lui reconnaître ce statut à la fois emblématique et énigmatique de "texte littéraire", des points d’intersection avec notre histoire de lecteur ou notre histoire tout court, une certaine forme d’écriture, un certain rapport au monde, etc. Mais des éléments de réponse existent. Et puis il arrive que d’autres textes nous laissent plus démunis. Le plaisir est là, il est réel, incontournable, mais ce qui contribue à le produire nous échappe, se tient dans une zone d’ombre autour de laquelle on tourne sans jamais entrer, ou alors à pas de loups. Dès que l’on prend du recul avec la page ou le livre qui nous est pourtant, dans le bon sens du terme, tombé des mains, on a du mal à saisir précisément ce qui s’est produit, à reconstruire autour de cet événement un discours qui rende à la fois compte du texte et de « mon » plaisir du texte… Quelque chose nous échappe. C’est à peu près ce qui se produit toutes les fois que je lis ou relis Robert Walser.
J'ai entre les mains Sur la terrasse, un texte en prose de Walser que l’on trouve dans le recueil Retour dans la neige. S’il fallait le ramener à un propos, à une note, on dirait que s'y trouve présenté le souvenir d’un promeneur observant depuis un escarpement rocheux un début d’orage sur un lac. Le cadre est romantique mais le texte en tant que tel ne l’est pas. A l’inverse, il ne relève pas non plus d’une description purement externe qui jouerait sur une force contenue, une émotion non exprimée. On y trouve des termes appréciatifs («Une pluie tendre et caressante», «cette chère et si agréable rumeur d’orage »), des émotions, relativement stéréotypées, y sont exprimées ( «J’aurais pu rester là des heures et me délecter de la vision du monde»). Le style est simple mais n’engage rien de définitif dans ce sens, ne joue pas sur un dénuement exemplaire. Par ailleurs, ni le lieu réel (cette région de Suisse), ni le topos littéraire (la scène d’orage sur un lac) ne touchent en moi, lecteur singulier, des cordes particulièrement sensibles (souvenir de lectures, de voyage)… J’éprouve, pourrait-on dire, une difficulté à qualifier ce texte par rapport au plaisir qu’il me procure. De nombreux autres textes de Walser me renvoient toujours à cette même interrogation… Dans Au bord du lac, une autre prose du même recueil, lorsque la nuit tombe sur le paysage, alors que cette disparition pourrait évoquer plus qu’elle-même, constituer un moment du récit où appuyer un trait de mélancolie, signaler une perte, le narrateur s’en remet à l’ordre établi du quotidien, à la banalité d’un retour à la maison :
« la nuit tomba peu après, et avec elle l’aimable invitation à se lever du banc sous les arbres, à s’éloigner de la rive et à prendre le chemin du retour ».
On ne sait trop dire où, dans cette demi-mesure, se joue ce qui fait vibrer le texte et pourtant à peine l’ai-je fini qu’il me faut le relire.
Quoique considéré en son temps par Stefan Zweig, qui l'admirait, comme un écrivain inclassable, Walser entrerait aujourd’hui dans le champ d’un certaine forme de minimalisme littéraire. Les objets, les domaines, les attentions que l’écriture investit relèvent du réel proche et souvent resté inaperçu, de l’accessible oublié, du quotidien : un quartier, une humble maison, un train, un tramway… Et lorsque l’écrivain se tourne vers la nature (qui occupe une place centrale dans son œuvre), celle-ci n’est jamais appréhendée de manière panoramique et encore moins transcendée ou sublimée. L’écriture s’attache à une manifestation particulière, un détail, un moment. Mais cette posture n’abolit pas la singularité de la prose walsérienne et le prétendu minimalisme n’est pas plus garant du plaisir du lecteur que du fonctionnement repérable et prévisible des textes. D’une part certaines proses de facture minimaliste peuvent être tout à fait insipides (nous ne citerons personne) et d’autre part, on pourrait aisément ranger sous cette étiquette des écrivains (parmi ceux que l’on estime) fort différents. On trouvera par exemple assez peu de points communs entre le minimalisme de certains textes d’un écrivain comme Pierre Michon (Vies minuscules, par exemple) et celui de Gilles Ortlieb.
Peut-être faut-il alors revenir vers l’histoire, le parcours singulier de Robert Walser, dont il est parfois difficile de faire abstraction lorsqu’on le lit.
Né à Bienne en 1878, il commence à écrire poèmes et textes en prose à l’âge de 19 ans. Voguant entre différents points d’attache et différents petits boulots en Suisse et en Allemagne, il s’installe à Berlin en 1905 où il résidera jusqu’à la veille de la Première Guerre Mondiale. Durant cette période il publie trois romans qui lui vaudront d’être rapidement remarqué par Kafka, Musil, Benjamin. Il se détourne pourtant assez rapidement de ce genre pour revenir à l’écriture de poèmes et surtout de textes en prose, sa forme d’expression privilégiée. De retour dans son canton natal en 1913, il ne quittera plus guère la Suisse, résidant à Bienne jusqu’en 19121, puis à Berne. Il continue à écrire. Ses publications connaissent un bonheur inégal selon les périodes, la plupart de ses proses paraissant avant tout dans des journaux suisses et allemands. Sujet à de graves crises psychiques il effectue un premier séjour à l’hôpital psychiatrique de Waldau à partir de 1929. Dès 1933, il choisit de demeurer définitivement en hôpital psychiatrique. Son internement ne prendra fin qu’à sa mort en décembre 1956 (pour une biographie plus détaillée voir ici).
On a assez répété que la biographie n’était sans doute pas la meilleure des voies pour faire parler la saveur ou l’amertume d’un texte. Mais il est pourtant évident que ce que l’on sait de l’existence d’un écrivain, ou à tout le moins de son cheminement dans l’écriture laisse parfois des traces dans notre rapport au texte. On lirait sans doute autrement les premières proses de Walser s’il était devenu un guide de haute montagne pétulant et épanoui au lieu de passer les vingt-sept dernières années de sa vie en hôpital psychiatrique. L’appréhension de son œuvre ne serait sans doute pas la même s’il n’avait pas arrêté d’écrire au milieu des années vingt, plus de trente ans avant sa mort. Le destin de Walser a suscité de nombreuses interrogations et ont invité à relire son œuvre à l’aune de cette double perspective : la réclusion et le silence, en d’autres termes, la disparition. La figure tutélaire de Robert Walser est au centre de Docteur Pasavento, le roman d’Enrique Vila-Matas, autre grand admirateur de l’écrivain biennois. Ce roman met en scène la dérive d’un écrivain barcelonais qui, publié et reconnu, se soustrait au monde et entame une dérive en forme de quête qui le conduira entre autres lieux et non-lieux vers l’asile où Walser a fini ses jours (voir ici un article de François Monti sur ce roman).
La découverte des fameux Microgrammes, ces textes tardifs écrits au crayon en caractères micrographiques sur des feuillets de fortune a également marqué notre perception du cheminement de l’œuvre de Walser. Les Microgrammes semblent entériner une évolution vers le plus ténu, le plus fragile, le plus invisible, un repli de l’écriture vers sa forme la plus périssable, la plus insoupçonnable, un amuïssement progressif qui ne pouvait conduire qu’au silence.
Lire Walser c’est aussi le lire à travers ce savoir-là. Ceci n’enlève rien à la grandeur de son œuvre mais explique aussi que nous puissions parfois entrevoir par ce biais les tensions internes, l’amertume secrète distillée dans certaines proses qui mettent pourtant en avant une apparente osmose avec la nature, le monde, les autres. Dans un entretien de janvier 2006 accordé à la revue culturelle espagnole Lateral, Vila-Matas, revenant brièvement sur Walser, souligne l'une des contraditcions fortes de l'écrivain. Il explique qu’il a toujours admiré chez lui sa volonté de vouloir être comme tout le monde alors qu’en réalité il ne pouvait ressembler à personne (1).
Les proses de Walser se déploient toutefois sur une gamme assez large. Certaines sont plus directement marquées par une forme de célébration du réel, de la nature, de l’être-au-monde. D’autres, plus tardives, reflètent une solitude plus pesante que revendiquée et une certaine forme de retrécissement du champ de vision dans l'appréhension du monde. Deux rééditions récentes nous permettent de prendre la mesure de la variété de ces textes, de leurs points communs, de certaines obsessions récurrentes et contradictions internes.
Une vie de poète (paru aux éditions Zoé en 2006) a été réédité au Seuil en janvier 2010 agrémenté d’une préface quelque peu controversée de Philippe Delerm… (voir ici une décapitation dans les règles par Didier Jacob). Petite prose est paru aux Editions Zoé, début 2010. Les deux textes ont été traduits par Marion Graf.
Vie de poète, recueil de proses publié en 1917 alors que Walser avait définitivement renoncé à la forme romanesque, se présente, à bien des égards comme une forme d’autoportrait en mosaïque.
On y retrouve d’abord sa passion vitale, presque obsessionnelle, pour la marche, à laquelle il ne renoncera jamais, même lorsqu’il aura cessé d’écrire. Jean-Louis Hue dans son dernier essai, l’Apprentissage de la marche, consacre un chapitre à Walser, à ses pérégrinations dans le Seeland et à ses dernières promenades avec Carl Seelig l’ami, le tuteur tardif et l’ultime compagnon de marche d’un Walser qui n’était plus écrivain depuis longtemps. Déambulation solitaire dans les vallées sauvages de son pays, flânerie dans les campagnes, trajet à pied de Münich à Wurzbourg… La marche, la déambulation, entretient chez Walser un rapport étroit à l’écriture et lui tient souvent lieu de fil rouge. C'est souvent à travers elle que l’écrivain, dans ses proses, accueille ce qui se présente à lui, cherche à se couler dans une sorte d’immanence des lieux et des êtres.
S’y exprime aussi cette tension que l’on retrouve souvent chez Walser entre une aspiration à un mode de vie productif, éloigné de toute oisiveté et un attachement profond à la libre flânerie. Ces proses sont parsemées de soudains sursauts qui le poussent à trouver un équilibre dans le travail, à rechercher, comme le dit Jean-Louis Hue « une enseigne, une raison sociale pour être estimé ».
« A force de bayer aux corneilles j’éprouvai le besoin indicible d’une détermination logique, humaine, aussi rude qu’elle puisse s’avérer j’étais attiré à un degré extraordinaire par l’ordre et le travail quotidien, et il n’y avait rien à quoi j’aspirais autant qu’à trouver et à accomplir une tâche quelconque. » (Wurzbourg)
L’oisiveté lui fait peur. Dans Les artistes, Walser met en scène une troupe d’artistes recueillis par un duc. Il leur demande de devenir des "artistes de cour", leur offre sa protection et tout ce qu’ils peuvent souhaiter, reconnaissance, confort, biens matériels. Les musiciens, peintres et poètes prennent trop vite goût à cette nouvelle existence et finissent par délaisser leur travail créatif pour mener une vie de cocagne. Ils décident alors de reprendre la route pour se frotter à nouveau à «la nature puissante», aux «gens frustres et non policés» et retrouver leurs forces dans la rudesse du monde. C’est aussi le sens de la nouvelle «Un compagnon» dans laquelle un jeune pèlerin pose un jour ses valises chez une femme douce et aimante qui lui prodigue une tendresse sans borne, mi-amoureuse, mi-maternelle. Il élit domicile chez cette protectrice qui le couve à l’excès mais finit par décider de la quitter pour reprendre la route :
« Quel traître je serais, si j’interrompais le voyage commencé et l’abandonnais pour toujours, si j’acceptais de me laisser dorloter et gâter, oubliant tout ce que je dois au sentiment que j’ai de ma propre valeur. »
A travers ces quelques exemples, on s’aperçoit aussi que chez Walser, le "vagabondage" est investi d’une double valeur contradictoire. Il peut être synonyme d’oisiveté, d’improductivité et il faut alors s’en détourner pour entrer dans le rang, se soumettre à cet idéal d’ «ordre et de travail quotidien » que dans Wurzbourg le poète appelle de ses vœux. Mais à l’inverse il apparaît ailleurs comme ce qui peut seul sauver l’individu de l’endormissement et de l’inertie. La vie d’errance redevient alors porteuse de valeurs positives, elle seule permet de s’accomplir en se frottant à la rudesse du monde, de se découvrir soi-même en découvrant le monde. Encore faudrait-il pour cela que le voyage soit l’occasion d’une intervention sur le monde, l’expression de cette négativité hégélienne par laquelle s’opère une transformation à double sens qui devient garante d’une construction du sens. Mais le vagabond walsérien ne se frotte pas à la rudesse du monde, il accueille la réalité extérieure avec humilité, jusqu’à se diluer en elle ; il est, pourrait-on dire, voyagé par le monde. Il y consent avec un émerveillement où se profile la menace de sa propre perte.
Vie de poète, dans l’agencement même des textes, trace un chemin qui n’est pas sans lien avec le propre parcours de Walser. Comme le soulignait Laurent Margantin dans un très bel article de la Revue des Ressources, ce recueil nous mène « de la verdure de l’été à la grisaille de l’hiver », «du monde extérieur» à « des chambres de moins en moins lumineuses où le narrateur fait l’épreuve de l’isolement et de l’enfermement ». Du plus vaste pourrait-on dire, au plus ténu. Et si les premières proses du recueil semblent souvent célébrer la beauté de ce qui est donné, la présence charnelle au monde alors que les dernières son teintées d’une sombre ironie, paradoxalement, ce passage se fait sans rupture, presque naturellement. Car c’est avec la même attention portée aux détails de son environnement que Walser contemple, au début du recueil, « une petite ville sertie dans les bois et les montagnes » qu’un vieux clou, un poêle ou un bouton dans les dernières proses. Mais ce qui pouvait encore porter la promesse d’une harmonie, d’une communion au début du recueil se resserre peu à peu sur la contemplation désoeuvrée d'une infime contingence où planent la menace d'une perte de sens.
Petite prose rassemble vingt-et-un textes qui parurent également en 1917. Walser y déploie encore quelques autres facettes de son talent. Chacun de ces textes est centré sur une figure particulière (un personnage de fiction, un écrivain, le narrateur lui-même) et prend tantôt la forme d’une histoire, d’un souvenir ou d’une chronique. Peut-être plus encore ici qu’ailleurs Walser joue sur un humour décalé, une ironie toujours tempérée. Mais ces portraits miniatures sont souvent l’occasion, par d’autres voies, de conjurer ses démons et de revenir sur ses thèmes de prédilection. On retrouve, dans le premier texte Vie d’un poète (à ne pas confondre avec le titre du recueil Vie de poète), ce parcours qui va de l’exaltation et de la communion avec les forces de la nature à une solitude mansardée, mais cette fois-ci dépeinte avec une légèreté souvent empreinte d’autodérision. Ainsi, lors des premiers vagabondages du jeune poète, « la lune devient son amie et les étoiles ses camarades ». Mais son existence s’achèvera, comme il se doit, dans une chambre misérable entre un lit étroit et une cuvette. Par chance, l’immortalité n’est pas loin :
« Par des sentiers fort tortueux, inextricables, le poète accède au lieu très haut, bercé des zéphyrs divins, décoré comme un temple, rayonnant de joie et de gloire, le lieu de l’immortalité ».
On trouve également quelques personnages singuliers qui incarnent tous à leur façon une certaine forme d’inadaptation au monde et à la société. Un homme «qui ne remarquait rien» et finit par perdre sa tête ; un misanthrope "qui ne veut entendre parler de rien" (Kienast) ; une femme qui méditant trop longtemps sur le repas qu’elle compte préparer à son mari et la manière de s’y prendre est prise de court par le temps et lui sert «rien du tout» pour le dîner… Personnages décalés, absurdes, qui sont autant d’avatars du poète et expriment en demi-teinte la fragilité de notre rapport au monde.
La plus longue de ces proses, Tobold (dont on trouve une version abrégée dans Vie de Poète) est un récit qui fut inspiré à Walser par son séjour en tant que laquais dans un château de Silésie en 1905. Ce texte avait vocation à devenir un roman, qui fut perdu par la suite. Il met en scène un personnage (Peter) qui, brisé de ne pas pouvoir atteindre les sphères infinies de la création poétique, s’isole dans une forêt et renaît à lui-même sous l’identité de Tobold, un être nouveau débarrassé de tout intérêt pour ce qui est grand et qui ne conçoit plus d’amour que pour «le très petit et l’infime». Il entre donc humblement comme domestique au service d’un comte. Cette amorce aux allures de conte permet à Walser de nous faire pénétrer dans le monde suranné et autarcique de l’aristocratie. Tobold s’acquitte des tâches qui lui sont confiées avec beaucoup de conscience et d’application et quittera le château quelques temps plus tard, muni de lettres de recommandations. Fort de cette expérience, il se sent prêt à aller de l’avant et à affronter le monde. On retrouve ici, derrière le voile d'un début de roman d'apprentissage, des interrogations chères à Walser : la peur de l’oisiveté, la tentation du renoncement poétique pour réintégrer une existence ordonnée par le travail quotidien, la volonté de croire en une force positive qui peut permettre de se mesurer au monde… Mais ce texte illustre aussi parfaitement cette étonnante capacité de Walser à jouer à la fois sur l’ironie et sur l’empathie. L’univers du château, ses parquets craquants, ses chambres immenses, ses services cérémonieux aux règles complexes et intransgressibles appartiennent à un autre monde qui porte à sourire. Pourtant on en retient aussi une certaine beauté, une forme de délicatesse. Il en va de même pour les maîtres du château (le comte, les belles princesses aux yeux pâles, …) qui sont dépeints dans une sorte d’étrangeté distante et un peu amusée mais conservent pourtant une forme de dignité qui force le respect.
La prose de Walser, si singulière, semble trouver un équilibre fragile à travers toute une série d’hésitations. Hésitation entre une adhésion totale au monde et une sombre mélancolie, entre ironie et empathie, entre une vision structurante de la réalité extérieure et la tentation inverse de s’y perdre et de s’y dissoudre.
La neige, si chère à Walser et figure centrale de plusieurs de ses proses, concentre sans doute toutes ses ambivalences : elle est à la fois source d’éclat, de beauté et de paix, mais elle est apporte aussi le silence, l’extinction et la mort. Il faut relire «Neiger», dans Petite Prose pour ressentir cette beauté étrange et lancinante de la neige chez Walser. Une neige "chaude," "douce", "meuble", "agréable" mais dont l’omniprésence devient presque inquiétante - «tout est voilé, nivelé, atténué ; là où régnait le multiple et le divers, il n’y a plus qu’une seule chose : la neige», et qui finit par se transformer en lieu de sépulture réconciliant le repos et la mort.
Mais le lecteur singulier tourne encore autour d’une zone d’ombre. Je cherche à saisir l’émotion que me procure la lecture de cette prose, mais je cherche derrière les mots, entre les mots. Quand je reprends le texte, l’alibi et les preuves ont disparu. Il ne me reste plus finalement que l'essentiel : ce plaisir, un peu mystérieux, de lire et relire Walser.
(1) La citation complète en espagnol : "Siempre admiré su extraña decisión de querer ser como todo el mundo cuando en realidad no podía ser igual a nadie, porque no deseaba ser nadie, y eso era algo que, sin duda, todavía le dificultaba más llegar a ser como todo el mundo".
Robert Walser :
Retour dans la neige, Editions Zoe, 1999, Traduit de l'allemand par Golnaz Houchidar
Vie de poète, Seuil, 2010, Traduit de l'allemand par Marion Graf
Petite prose, Editions Zoe, 2010, Traduit de l'allemand par Marion Graf
Images : 2) Robert Walser / 5) Photo homme dans la neige (Castellopes via Assouline)
Très bonne manière de nous parler de Walser, un grand dans le registre de ce que Deleuze explorait chez Kafka par exemple, comme une littérature mineure. A rapprocher d'un autre grand, Leopardi, dans cette profusion étonnante et minutieuse qu'est le Zibaldone.
RépondreSupprimerCes écrivains dansent en écrivant et sont des athlètes du souffle, eux qui, pourtant, avaient ce qu'on appelle une mauvaise santé.
On est saisi par la force de leur faiblesse et aussi, par un rapport sensible au monde très particulier. Bruno Schultz pourrait aussi être rapproché de ce sdeux écrivains, ou encore Stifter.
Merci encore!
SD
Fiolof, bien belle recension de l'oeuvre de Walser que vous offrez là, toute en subtilité et en nuances..
RépondreSupprimerS'il s'agit d'un auteur un découvrir, est-ce que Retour dans la neige peut être recommandé pour pénétrer son univers?
Salutations littéraires
Edwood
Merci beaucoup. Retour dans la neige est effectivement un très beau recueil qui permet d'entrer de plain pied dans la prose de Walser. Le recueil "Une vie de poète" me semble peut-être couvrir encore mieux les différents aspects de son écriture et permettre de suivre ce cheminement qui, dans son oeuvre, va du plus clair au plus sombre... Mais quelque soit le recueil, je suis certain que vous ne serez pas déçu... Cordialement
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