Il y a le fils et il y a la mère. Le fils se rend chaque
jour auprès d'elle, à l'hospice. Mais elle ne le reconnaît plus comme étant son fils. Elle
le lui dit, ce n'est pas possible : "T'es trop vieux".
D'ailleurs son fils, le vrai, celui qu'elle espère encore, viendra sans doute
la sortir de "ce trou puant".
Elle oublie, elle a oublié. Le temps a fait son affaire. On ne se donne même
plus la peine de nommer cette épée de Damoclès qui nous attend au tournant, quelque part vers le bout du
chemin. Alzheimer s'est fait papillon de nuit.
La mère ne se souvient plus mais
elle est tenace, voire teigneuse. Elle ne veut pas rendre son fauteuil roulant
au vieux Monsieur qui en a bien besoin.
"Le pensionnaire qui attend sa
chaise n'a plus ses jambes, mais il a sa tête et il attend, lui,
depuis...".
Une autre fois, la mère défend son territoire. Elle administre
de grands coups de parapluie aux résidents qui viennent pisser
dans ses toilettes. Le directeur de l'hospice devient dingue, menace de ne pas
la garder. Il faut la calmer, la raisonner, mais les mots ne sont pas simples. La
tentation de la maltraitance est forte. Sans le fils, sait-on ce qui
adviendrait ? On a tous les ingrédients d'un théâtre réaliste : l'hospice,
Alzheimer, la maltraitance, la vieillesse... Mais ce n'est pas seulement cela. Les dialogues sont un peu dévissés. Les répliques
font l'effet de rafales qui s'enchaînent, brèves et tendues et l'on a parfois l'impression
que la maman mène la danse, en suivant sa logique vide et implacable. Ca grince
de tous les côtés...
Et pourtant derrière ce présent morose et ce flot d'oubli, on sent bien qu'il y a une
mémoire plus lointaine, le souvenir de quelque chose de plus terrible encore.
-
Pour rien, maman.
-
C'était pas drôle.
-
C'était pas drôle, je sais.
-
De là-bas on sortait les jambes fines et les pieds devant."
Les choses prendront bientôt forme. La mère
disparaîtra dans les jardins de l'hospice, sur les traces de sa propre
mère, de sa propre enfance. Une enfance où s'ébroue encore le fantôme de la
Shoah.
A travers cette courte pièce grinçante et ciselée, où
l'on se surprend aussi à sourire, Jean-Claude Grumberg nous offre encore un
bel échantillon de son sens fort du dialogue, dérangé et dérangeant. Et il nous
darde de quelques questions simples mais lancinantes : Qu'est-ce qu'oublier ? Qu'est-ce que se souvenir ? De quelle mémoire serons-nous un jour orphelins ?
Jean-Claude Grumberg, Votre maman. Actes Sud. 2012.
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