Traquer et tracer l’absence, la plus terrible, celle de l’enfant perdu. Une absence qui, bien après les premières fulgurances et le temps du désastre est devenu paysage. Paysage d’amertume, douleur secrète et vivace dans chaque geste de mère. Ce qui aurait dû s’égrener en paisibles souvenirs s’est transformé en un royaume forclos, terrible et enluminé – «l’immense royaume de tes premiers mots».
Figure de l’absence, recueil paru chez Myriam Solal un peu avant l’été,
rassemble les poèmes que Yánnis Rítsos – dans la très belle
traduction de Michel Durazzo – a tissé
sur les franges de ce royaume-là. Dans son court préambule, c’est un autre
poète grec, Vassilis Vassilikos, qui
donne la mesure de ce souffle retenu, en le rapprochant notamment des Chants pour des enfants morts de Gustav Malher. Et il est vrai que Rítsos
manie ici le mode mineur avec une pudeur et une justesse poignantes. Chaque
poème est porté par une exigence et une émotion intériorisée qui ne cèdent
pas une once de terrain à la tentation du pathétique.
Ces quelques pièces rares et
tranchantes ont été méticuleusement extraites d’une « œuvre océanique »
(Vassilikos) au cœur de laquelle elles auraient pu demeurer inaperçues. On
découvre un jardin secret de la poésie de Yánnis Rítsos, une voix
plus intimiste qui parvient pourtant à se faire l’écho de toutes les douleurs
nées de ce deuil si singulier.
On sait que Rítsos a fait
très tôt l’épreuve de la perte (sa mère, son frère…). Mais c’est à partir de la
disparition de sa sœur qu’il aurait composé une grande partie de ces poèmes. Aucune
blessure personnelle n’est pourtant nommée. Il transforme sa propre mémoire en
expérience partagée et arpente le temps du deuil irrévocable avec une humilité
et une précision qui nous le rend palpable à chaque instant.
«L’absence vit donc sa vie, avec ou sans nous,
elle fait des gestes invisibles, elle se tait, elle s’abîme, elle vieillit
comme une existence normale, arborant un sourire muet qui ride tout doucement
la bouche, le coin des yeux, à la mesure de notre temps,
effaçant les couleurs, multipliant son ombre -
elle vit et vieillit avec nous, elle se perd avec nous, et demeure dans ce qu’on laisse
elle fait des gestes invisibles, elle se tait, elle s’abîme, elle vieillit
comme une existence normale, arborant un sourire muet qui ride tout doucement
la bouche, le coin des yeux, à la mesure de notre temps,
effaçant les couleurs, multipliant son ombre -
elle vit et vieillit avec nous, elle se perd avec nous, et demeure dans ce qu’on laisse
Et il nous faut être attentifs à chacun de nos mouvements,
de nos pensées, de nos mots.
car nous sommes désormais seuls à porter l’entière responsabilité
de ce que va devenir le manque.»
de nos pensées, de nos mots.
car nous sommes désormais seuls à porter l’entière responsabilité
de ce que va devenir le manque.»
Figure de l’absence est un recueil où l’on entre à pas feutrés, où
chaque mot, et souvent chaque « pauvre mot », semble avoir été pesé
et soupesé pour ne rien dire de plus que l’essentiel. Le chant n’est plus ici
qu’un chant résiduel, précis, éprouvé. Il cède sa place au murmure.
Yánnis Rítsos, Figure de l'absence. Myriam Solal Editeur. 2013
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