samedi 28 septembre 2013

> Figure de l'absence - Yánnis Rítsos

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Traquer et tracer l’absence, la plus terrible, celle de l’enfant perdu. Une absence qui, bien après les premières fulgurances et le temps du désastre est devenu paysage. Paysage d’amertume, douleur secrète et vivace dans chaque geste de mère. Ce qui aurait dû s’égrener en paisibles souvenirs s’est transformé en un royaume forclos, terrible et enluminé – «l’immense royaume de tes premiers mots».

 Figure de l’absence, recueil paru chez Myriam Solal un peu avant l’été, rassemble les poèmes que Yánnis Rítsos – dans la très belle traduction de Michel Durazzo – a tissé sur les franges de ce royaume-là. Dans son court préambule, c’est un autre poète grec, Vassilis Vassilikos, qui donne la mesure de ce souffle retenu, en le rapprochant notamment des Chants pour des enfants morts de Gustav Malher. Et il est vrai que Rítsos manie ici le mode mineur avec une pudeur et une justesse poignantes. Chaque poème est porté par une exigence et une émotion intériorisée qui ne cèdent pas une once de terrain à la tentation du pathétique.




Ces quelques pièces rares et tranchantes ont été méticuleusement extraites d’une « œuvre océanique » (Vassilikos) au cœur de laquelle elles auraient pu demeurer inaperçues. On découvre un jardin secret de la poésie de Yánnis Rítsos, une voix plus intimiste qui parvient pourtant à se faire l’écho de toutes les douleurs nées de ce deuil si singulier.

On sait que Rítsos a fait très tôt l’épreuve de la perte (sa mère, son frère…). Mais c’est à partir de la disparition de sa sœur qu’il aurait composé une grande partie de ces poèmes. Aucune blessure personnelle n’est pourtant nommée. Il transforme sa propre mémoire en expérience partagée et arpente le temps du deuil irrévocable avec une humilité et une précision qui nous le rend palpable à chaque instant.

«L’absence vit donc sa vie, avec ou sans nous,
elle fait des gestes invisibles, elle se tait, elle s’abîme, elle vieillit
comme une existence normale, arborant un sourire muet qui ride tout doucement
la bouche, le coin des yeux, à la mesure de notre temps,
effaçant les couleurs, multipliant son ombre -
elle vit et vieillit avec nous, elle se perd avec nous, et demeure dans ce qu’on laisse

Et il nous faut être attentifs à chacun de nos mouvements,
de nos pensées, de nos mots.
car nous sommes désormais seuls à porter l’entière responsabilité
de ce que va devenir le manque.»

Figure de l’absence est un recueil où l’on entre à pas feutrés, où chaque mot, et souvent chaque « pauvre mot », semble avoir été pesé et soupesé pour ne rien dire de plus que l’essentiel. Le chant n’est plus ici qu’un chant résiduel, précis, éprouvé. Il cède sa place au murmure. 





Yánnis Rítsos, Figure de l'absence. Myriam Solal Editeur. 2013


Images : 1) ©Sylvain Bouttet (source) / 3) Yánnis Rítsos (source)

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