jeudi 22 août 2019

> Le poème du jeudi (#119)




Le cri du peuple à la Saint-Charles de 1828


D’un vaste état vous qui tenez les rênes,
Vous le voulez, il faut nous divertir…
Allons, amis, pour déguiser nos peines,
Faisons semblant d’avoir bien du plaisir.
Vous le voyez, notre ivresse accomplie
Nous fait gaiment chanter le verre en main :
Vive le roi, vive la monarchie,
        Mais donnez-nous du pain


Des chars brillans le pompeux apanage
Vous porte au Louvre au milieu des cafards ;
De vos grandeurs l’éclatant équipage
Va, près du trône, étonner les regards.
Quand nous, morbleu ! que la misère assiège,
Nous n’osons pas songer au lendemain…
Bouffis d’orgueil, brillez dans un cortège,
           Mais donnez-nous du pain.


Bercez d’erreur la majesté royale ;
D’un peuple heureux retracez le tableau ;
Montrez-lui bien l’heureuse capitale
De son surcroît soulager le hameau ;
Ses matadors, contens d’un sort prospère,
Au pauvre diable encor tendre la main ;
D’un tel bonheur nourrissez la chimère,
              Mais donnez-nous du pain.


Dans un banquet servi par l’arrogance,
Dont chaque jour le trésor fait les frais,
Arrondissez largement votre panse
En digérant l’enflement des budgets ;
Faites mousser le pétillant champagne
A la santé du pauvre genre humain ;
Lésez nos droits et battez la campagne
              Mais donnez-nous du pain.


Pour dissiper la liqueur énivrante,
Cherubini prépare le concert
Et d’autre part d’une ardeur foudroyante
Ruggieri vous fait un feu d’enfer.
Suivant des yeux sa lumière factice,
On bâille en l’air… la nuit paraît soudain ;
Pour endormir employez l’artifice,
              Mais donnez-nous du pain.


Vive le roi !... mais vive l’abondance !...
Ventre affamé ne veut rien écouter,
Le croirait-on ? l’industrieuse France
Sur des trésors ne fait que végéter ;
Fertilisez cette belle contrée,
Otez la nielle et laissez le bon grain,
Ouvrez aux arts une route assurée,
              Et nous aurons du pain.


   /                                        

Felix Becker, in Edmond Thomas, Voix d’en bas, La poésie ouvrière au XIXe siècle. Maspero, 1979.


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