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Qu’un livre puisse à ce point se passer de mots m'a d’abord inspiré une certaine méfiance. On ne se refait pas… Mais le dernier album de Nicolas Presl, (BD
muette, roman graphique sans parole, appelez ça comme bon vous semble) est une belle surprise, tant sur le plan formel que narratif.
Heureux qui comme
est l’histoire d’un séjour en Afrique. Celui d’une femme qui ne connaît
visiblement pas ce continent et rejoint là-bas, pour passer un peu de temps
avec lui, son petit ami qui y travaille. Mais au récit de ce séjour se
superpose une autre série de tranches de vie où l’on découvre le quotidien d’un
confortable expatrié, un homme d’affaires qui succombe aux tentations locales
de l’excès de bière et du pot de vin. Deux personnages que tout oppose et dont
les chemins se croiseront brièvement, au cours d’un itinéraire tout en finesse
où ils échappent à la caricature qui leur tendait les bras. Cette histoire croisée nous est racontée,
séquence après séquence, sur plus de deux-cent pages (à vue de nez, puisque
l’auteur n’aime pas plus les chiffres que les lettres) à la seule force d’un
dessin sans complaisance, à la fois expressif et inventif. Et l’on est emporté dès
le coup d’envoi.
Tout commence (et finira) dans un aéroport. Mais on
n’embarque pas tout de suite. Il y a d’abord le check in, les contrôles, la
grande baie vitrée et les avions sur la piste. Nicolas Presl dessine l’attente
et il prend son temps. La voyageuse est plutôt moche, angulaire, l’œil
démesuré, affublée d’un moignon de nez, avec une tête aplatie surmontée
d’une coupe façon Mireille Mathieu (mais vous verrez, son copain n’est pas mal
non plus). A quelques exceptions près les personnages anonymes qui l’entourent à
ce stade du voyage conservent quant à eux le bénéfice du doute : à la place du
visage, un ovale en pointillé dans lequel figure l’indication
«photo». A vous d’en coller une si le cœur vous en dit, le
dessinateur n’aura pas d’ennui avec le CNIL…
Nous voilà bientôt en Afrique, dans un pays que de nombreux indices situent plus précisément en Afrique de l’Ouest. Mais la nouvelle venue va d’abord déchanter. Il fait chaud (presque tous les blancs transpirent sous le crayon de Nicolas Presl), on vous bouscule pour le change d’argent, les enfants se collent à vous avec leur sébile, les chauffeurs de taxi les chassent pour vous gratter une course, ça grouille, c’est salle, on traverse des no man’s land urbains. Bref, on assiste au bizutage obligé du « toubab » débarquant sac au dos en terrain non apprivoisé… C’est tout à la fois drôle et dérangeant, juste et sans concession.
Nous voilà bientôt en Afrique, dans un pays que de nombreux indices situent plus précisément en Afrique de l’Ouest. Mais la nouvelle venue va d’abord déchanter. Il fait chaud (presque tous les blancs transpirent sous le crayon de Nicolas Presl), on vous bouscule pour le change d’argent, les enfants se collent à vous avec leur sébile, les chauffeurs de taxi les chassent pour vous gratter une course, ça grouille, c’est salle, on traverse des no man’s land urbains. Bref, on assiste au bizutage obligé du « toubab » débarquant sac au dos en terrain non apprivoisé… C’est tout à la fois drôle et dérangeant, juste et sans concession.
Difficile de trouver sa place et de se fondre dans le
paysage… D’autant que Nicolas Presl recourt à une série de protocoles dans le
jeu des couleurs qui ont un effet à la fois expressif et symbolique. Tout ce
qui relève du monde occidental est bleu et tout ce qui relève de l’Afrique est
ocre, personnages comme objets. Une sorte de frontière infranchissable qui a parfois
des atours assez irrésistibles. On voit ainsi des Africains ocre vêtus de casquettes
et de tee-shirt bleus portant le logo d’une compagnie internationale. Et d’autres
codes couleur seront vite relevés : les liquides sont le plus souvent vert, les
armes et le sang noirs…
Même si la vision de l’Afrique et des Blancs en Afrique est ici rugueuse, il n’y a pas de manichéisme ni de misérabilisme dans Heureux qui comme. Les Africains vivent leur vie là où ils sont, partagent parfois leur thé ou au contraire empoignent des armes. Les Blancs, quant à eux ne trouvent jamais tout à fait leur place. La jeune « héroïne » une fois arrachée aux fièvres du palu et aux affres de la turista, bourlingue un peu, mi-tendre mi-méfiante, toujours en apesanteur. Son copain est un baba humaniste obnubilé par la lutte contre le paludisme au point que ses parasites lui collent aux yeux (les microbes occupent d’ailleurs une place physique très importante dans cette histoire et Nicolas Presl a cette belle idée de nous les rendre visibles à l’œil nu partout où ils se trouvent...). Et elle semble avoir du mal à partager sa passion et sa détermination.
Même si la vision de l’Afrique et des Blancs en Afrique est ici rugueuse, il n’y a pas de manichéisme ni de misérabilisme dans Heureux qui comme. Les Africains vivent leur vie là où ils sont, partagent parfois leur thé ou au contraire empoignent des armes. Les Blancs, quant à eux ne trouvent jamais tout à fait leur place. La jeune « héroïne » une fois arrachée aux fièvres du palu et aux affres de la turista, bourlingue un peu, mi-tendre mi-méfiante, toujours en apesanteur. Son copain est un baba humaniste obnubilé par la lutte contre le paludisme au point que ses parasites lui collent aux yeux (les microbes occupent d’ailleurs une place physique très importante dans cette histoire et Nicolas Presl a cette belle idée de nous les rendre visibles à l’œil nu partout où ils se trouvent...). Et elle semble avoir du mal à partager sa passion et sa détermination.
L’entrepreneur autour duquel se tisse la seconde ligne de ce
récit est quant à lui emblématique du vieil expatrié aguerri. Il boit de la
Flag à longueur de journée, il connaît bien l’Afrique mais l’Afrique, pourtant,
le dépasse. Il se laisse aller à des trafics qui lui vaudront quelques retours
de manivelle et sa vie de famille moisit tranquillement sur fond de villa-piscine… Sa femme (le personnage le plus touchant de cette histoire)
s’ennuie à longueur de journée, boit beaucoup aussi, fume et fait trempette…
Nicolas Presl est aussi à l’aise dans le registre de la crudité que dans celui de la délicatesse. Il ne rechigne pas à zoomer sur des cuvettes de WC maculées, sur des vomissures ou des chenilles sortant du lavabo mais il sait également, avec une idée et deux coups de crayons, faire passer un vague malaise ou un éclair de tendresse. Malgré le cadre réaliste de son propos, il s'autorise de jolis pas de côté. Ainsi, son récit est ponctuellement visité par quelques animaux pâles et finement dessinés qui tranchent avec une certaine laideur ambiante et le trait qu’il réserve à ses personnages. Et justement, chacun des quatre principaux personnages rencontre brièvement « son » animal. Un singe totémique pour la jeune routarde, un dromadaire pour son copain militant anti-paludéen, un léopard pour l’entrepreneur corrompu et un émeu pour l’épouse solitaire… cette dernière rencontre est l’une des scènes les plus réussies du livre : la femme, qui touche doucement le fond du malheur et de l’ennui au cours d’une réception braillarde, s’isole dans le jardin arboré de sa villa et connaît un bref moment de légèreté en s’amusant des manières du grand oiseau…
Ces quelques apparitions esquissent un intermède poétique et semblent à chaque fois incarner le désir, l’espoir ou le regret d’un personnage. Et peut-être est-ce là tout ce qu’il leur reste d’une certaine Afrique : le rêve évanescent d’une sagesse et d’une beauté perdues.
(Heureux qui comme
figure dans la sélection officielle du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, qui se
déroule jusqu’à dimanche.)
Nicolas Presl, Heureux
qui comme. Atrabile. 2012.
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