On aime bien les livres de Philippe Annocque. Alors, bien
sûr, depuis Monsieur Le Comte au pied de la lettre, on attendait le prochain. Et voilà que l’auteur
nous revient avec 180 mots seulement. D’accord, il y en a 33 autres cachés dedans,
mais ça ne fait rien, les lecteurs qui
aiment sa prose pourraient trouver ça un peu chiche... Qu’ils se rassurent, avec Dans mon oreille, récemment paru aux éditions Motus, l'économie de moyens n'empiète pas sur la saveur. D’autant que Philippe Annocque
s’expose cette fois avec un bel acolyte, l'illustrateur Henri Galeron.
Dans mon oreille
entre dans la catégorie des livres de jeunesse (vous savez, ces livres que l’on
offre parfois à nos enfants en espérant qu’ils nous laisseront les lire…) et
fonctionne autour du principe de l’avion. L’avion est l’une des contraintes recensées par l'Oulipo et figure, c’était imparable, entre l’ avalanche et le baobab
dans la liste alphabétique desdites. Un avion, c’est une "abréviation de mots", nous
annonce un peu succinctement l’Oulipo. Le choix de ce terme pour désigner la
chose vient de ce qu’il est lui-même, comme, on peut le voir, une ABREVIATION avionnée…
Ce qui est touchant, c’est que Philippe Annocque (il en
parle sur son blog) ne s’est pas assis à sa table de travail en se disant soudain «tiens, je vais faire l’oulipien». Les choses se sont passées autrement : la
contrainte lui est pour ainsi dire venue par voie naturelle… Il a un jour
découvert qu’il y avait un ŒIL dans
son OREILLE
et, ce qui est nécessairement une bonne nouvelle pour quelqu’un qui les aime,
des mots dans les mots…
L’avionnique bien comprise est donc un art de la
surimpression ; faire des avions c’est
(r)écrire en gommant, pour donner à lire d’autres mots dans les mots, d’autres
textes dans les textes. Bien sûr me direz-vous, le nombre de lettres n’étant
pas infini, plus le texte source est vaste et plus il sera potentiellement
farci d’avions. On est à peu près sûr de pouvoir retrouver un certain nombre de
fois dans le bon ordre les mots Guerre et Paix dans le roman de Tolstoï ou,
pour envisager un biais plus désappointant, de pouvoir déceler au moins une courte citation de Beckett
dans chaque roman d’Alexandre Jardin. Autant dire que pour qu’un avion ait une chance de franchir le mur du son, mieux vaut que l’engin traverse
un concentré de ciel…
Et c’est exactement ce qui se produit ici, puisque le mot
caché nous est à chaque fois servi par un distique, une forme resserrée qui le
met sensiblement en relief.
LA-HAUT, UN FUNAMBULE ECRIT
LA FABLE DE
L’AIR.
Et bien sûr ces petits précipités poétiques, à mi-chemin
entre morale balbutiée et bonsaï de haïku, au-delà de leur dimension ludique,
crépitent aussi du côté du sens. Ça fait feu, ça rapproche, ça creuse ou ça
ouvre, ça grésille… Il y a parfois de vraies trouvailles, drôles ou émouvantes,
à mastiquer ou à méditer.
UN POMMIER PENSIF
DONNAIT DES POIRES
Et il y en a bien d’autres, qu’il serait dommage de déflorer en dehors du livre,
d’autant que les illustrations délicates de Henri Galeron composent souvent d'intéressantes propositions avec les textes. Il n’a pas dû être simple pour ce dernier, on peut l’imaginer,
de s’inscrire dans ce cadre contraint tout en y apportant une touche qui ne
soit pas seulement redondante. Et c’est pourtant joliment réussi - poétique,
décalé, inventif.
Dans mon oreille est un beau livre, on l'aura compris.
Mais est-ce bien suffisant ? Car
par les temps qui courent, un juste souci de rentabilité éducative agite tout
parent qui se respecte. Et chacun est en droit de se demander, avant d'offrir l'ouvrage
à sa descendance, quelle leçon elle pourra en tirer.
J’en vois au moins une : pour éviter le pire et
butiner le meilleur, rien de tel que d’ouvrir toujours grand les mirettes.
Philippe Annocque, Henri Galeron, Dans mon oreille. Editions Motus. 2013.
Images : 1) Flying Machine (source) / 2 et 3) illustrations de Henri Galeron.
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