Si vous vous apprêtez à faire une sortie un peu longue en voilier avec votre fille de sept ans, une recommandation s’impose : n'ouvrez surtout pas le roman de Toine Heijmans, En mer, traduit du néerlandais chez Christian Bourgois en août dernier (et qui vient d’obtenir le prix Médicis Etranger 2013). Mais si vous n’envisagez rien de tel, il faut vous précipiter chez votre libraire.
Le personnage principal de ce roman, qui conduit le récit
pendant les trois-quarts du livre, a entrepris un voyage en solitaire de trois
mois en mer du Nord. Fatigué de sa vie professionnelle, il a pris un congé sans
solde pour pouvoir se ressourcer en s’adonnant à sa passion de la voile. Il a
toutefois prévu de prendre à bord sa fille Maria sur le chemin du retour, pour partager
avec elle la dernière étape du voyage. Une étape qui doit les conduire en
quarante-huit heures de Thyborøn
au Danemark jusqu’à leur point d’arrivée sur l’île de Terschelling aux
Pays-Bas.
Il a mis un certain temps à convaincre sa femme (Hagar) d’accepter
l’aventure. Les mères, vous savez ce que c’est, ne se défont pas si facilement d’un
excès naturel de méfiance pour tout ce qui touche à leur progéniture. Elle a
d’abord refusé et puis, finalement, elle a dit oui. Elle ne souhaitait
absolument pas faire le voyage, alors elle attendra son mari et sa fille chez
eux, à Tersch.
Bien sûr, tout devait se passer pour le mieux. Le père de
Maria a une bonne expérience de la navigation (il a déjà fait le tour de la
Grande-Bretagne seul avec son voilier) et il a tout prévu. Son bateau n’est pas
grand mais il le maîtrise bien, il a choisi la période, l’itinéraire et aucun
alerte météorologique ne se profile. Tout devait se passer pour le mieux, mais
tout se passera pour le pire… Au seuil de la dernière nuit, des nuages noirs
encombrent le ciel, la pluie s’abat sur la mer et la tempête menace. Il va
falloir prendre du retard, tenir la gite et jeter l’ancre dans un endroit peu
sûr, trop loin de la côte et pas assez en mer… La fatigue se fait harassante,
le père-capitaine s’assoupit sans doute durant l’un de ses quarts nocturnes et
lorsqu’il descend retrouver sa fille dans sa cabine, elle ne s’y trouve plus.
Il la cherche partout à bord et la peur monte comme un thermomètre affolé. On
suit le narrateur dans sa quête désespérée, dans l’effroi qui l’étreint et
qu’il s’efforce de contenir à coups de mots, dans les bonnes et les mauvaises
décisions qu’il prend alors que les SMS que lui envoie sa femme restent à
présent sans réponse.
Le cadre du suspense qui s’installe est simple mais d’une
efficacité redoutable. La narration joue habilement d’allers retours entre le
présent de l’incident et les étapes du voyage qui l’ont précédé. Pourtant, les
qualités de ce récit ne se limitent pas à son caractère haletant. Heijmans nous
emporte par petites touches dans les flux et reflux de la conscience de son
personnage, les bribes de son journal, la relation qu’il entretient avec sa
fille. Et il compose dans une langue épurée le portrait touchant d’un homme
pris entre sa solitude et l’amour qu’il porte aux siens, le portrait d’un père
fragile et décalé. Un portait que viendra tout à la fois épaissir et creuser
les dernières pages du roman.
Toine Heijmans semble s’être très librement inspiré de la
figure de Donald Crowhurst (dont son personnage partage le prénom), un homme
d’affaires et navigateur anglais à l’histoire singulière, tricheur, mythomane
et disparu en mer en 1969 au cours du Sunday Times Golden Globe Race. La
dernière phrase (inachevée) du journal de Crowhurst est placée en exergue du livre, comme un
avant-goût des dérives à venir.
Pour autant, une chose est sûre (et on vous parie même
là-dessus une croisière en mer du Nord) : la chute de ce petit roman aussi
saisissant qu’émouvant ne figure parmi aucune des hypothèses de dénouement que
vous aurez émises au fil de votre lecture...
(Cet article peut également être lu sur Culturopoing)
Toine Heijmans, En mer. Edition Christian Bourgois. 2013. Traduit du néerlandais par Danielle Losman.
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