mardi 14 janvier 2014

> Les pavés sous la plage

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Le dernier roman de Guillaume Guéraud, Baignade surveillée, se lit d’un trait et nous laisse dans la bouche un drôle de petit goût amer. L’histoire, d’un réalisme dégraissé, se joue sur les franges du polar. L’écriture, presque scénaristique, se passe de toutes fioritures et parvient pourtant à brosser sous nos yeux un univers à la fois violent et touchant. Un univers d’une belle justesse. On a là une sorte de photo de famille un peu mal foutue, de celles que l’on conserve rarement dans les albums à se passer d’une génération à l’autre. En toile de fond il y a l’océan Atlantique et les plages du Cap-Ferret. Mais aussi la mocheté de la vie, les mauvaises pioches, les chemins pris de travers.
 
C’est l’histoire d’une double fin de partie : la fin d’un couple d’un côté, la fin d’une cavale de l’autre. Les deux perdants sont deux frères, à la fois proches et lointains et qui partagent en un temps compté quelques derniers moments de vacances, de vague dispute et de tendresse jamais avouée.




Dès les premiers chapitres, la couleur est annoncée : le narrateur de Baignade surveillée vit avec Estelle une histoire d’amour sur le déclin. Lui, il serait plutôt partant pour essayer de recoller les pots cassés, mais pour elle tout est déjà terminé. C’est presque du passé.  Ils ont un fils, Auguste et ils sont en vacances au camping du Cap-Ferret, comme chaque année, du 1er au 15 août…  Leurs dernières vacances - si l’on peut parler de vacances… Ce compagnon en voie d’esseulement ne donne pas pour autant l’impression de couler à pic dans la souffrance (question de pudeur, peut-être) mais plutôt de barboter dans la grisaille d’un temps qui n’est plus que celui de la fin de son couple. Pendant qu’Estelle pianote sur son portable avec (on l’apprendra plus tard) l’amant qui va venir l’enlever, il ne lui reste quant à lui «rien de mieux à faire que de compter les méduses et les os de seiche échoués sur le sable». L’ambiance est posée. Pour le coup, on repense furtivement au couple « finissant » du beau roman de Claire Gallen, Les riches heures, juste le temps de se dire qu’ aux éditions du Rouergue, les bords de mer constituent un cadre définitivement peu propice à la jubilation amoureuse…

Et puis il y a Max, le frère taulard du narrateur, qui s’apprête à ajouter son grain de sel à ce tableau morose. Personnage secret, à la fois brut et fragile, sur le portrait duquel s’ouvre et se refermera le roman :

«Son visage était parfois rongé de tics. Il clignait des yeux à tout va, il crispait les mâchoires, il creusait les joues. On croyait alors voir des lézards danser sous ses pommettes. Ca arrivait quand il était préoccupé. Sauf que personne ne savait vraiment ce qui le préoccupait.» 

En un rapide flash-back, Guillaume Guéraud nous brosse à grands traits l’enfance des deux garçons, partagée entre l’ennui d’une cité de Bordeaux et les sempiternelles vacances dans le chiche cabanon familial du Cap-Ferret à présent revendu par les parents (d’où les joies du camping). Il y a eu tous les hivers et tous les étés sur cette même plage et devant la même  mer peu engageante. Puis le petit frère a pris la tangente, les chemins qui se sont séparés… Les docks de Marseille pour l’un, les successions de petites peines à Fleury pour l’autre.

« Il a appris à marcher sur le sable et, des années plus tard, notre mère riait en disant que c’était pour ça qu’il filait de travers.»

Très vite, le récit va avancer en suivant une double ligne. Sur la ligne du présent, il y a les journées au Cap-Ferret où Max rejoint, à leur grande exaspération (indiscutable pour Estelle, plus ambiguë pour le narrateur), le couple en pleine déconfiture. Et sur celle du passé récent, on suit l’histoire du frère, depuis sa dernière sortie de prison jusqu’au casse acrobatique et raté qui vient de faire soudain de lui le meurtrier de quatre convoyeurs de fond et un homme en fuite venu passer ses dernières heures de liberté sur la plage de son enfance. Il n’y aura pas de surprise en fin de course, ni du côté du couple (Estelle s’en va), ni du côté du frère en cavale (les flics viennent le cueillir manu militari sur la plage). 

C’est ailleurs que se concentre toute la force de ce roman. Dans la capacité de Guillaume Guéraud, notamment, à donner en peu de mots une épaisseur et une justesse étonnantes à ses personnages. Il y a là toute une arrière-vie de morosité sociale, de rendez-vous manqués avec les belles et bonnes choses ; ça sent la banlieue triste, les petits moyens, les mots qu’on n’a pas appris à se dire au sein de la famille et qu’on ne saura plus jamais se dire. Aucune thèse, aucun passage en force de la part de l’auteur, juste quelque chose comme la toile grise d’une réalité possible. Une réalité qu’on jurerait toute  proche...

Le personnage de Max est particulièrement réussi. Il apparaît comme une sorte de truand-trublion qui s’est détruit en s’entêtant à rester un enfant farceur – et parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. Son seul vrai complice est d’ailleurs Auguste, le jeune fils de son frère, qu’il entraîne sans cesse dans ses jeux. Sur la plage, Max s’amuse à mélanger les serviettes des baigneurs pendant qu’ils sont dans l’eau et il passe ses nuits à creuser d’immenses trous pour que les vacanciers s’y cassent la gueule le lendemain. Les policiers de la B.A.C. en feront à leur tour les frais dans la scène tragicomique de son arrestation. Max apparaît comme un inadapté social de la première heure, à la fois pétulant et brisé par la prison. Mais les jeux parfois tournent mal et il est devenu un tueur. Un tueur inexcusable et terriblement attachant… 

La relation entre les deux frères est touchante, elle aussi. On devine à demi-mots (les mots économes et peu démonstratifs du narrateur) que quelque chose de fort les retient encore l’un à l’autre – du côté du malheur, peut-être,  et de la nostalgie d’avoir malgré tout grandi ensemble.

On retrouve dans Baignade surveillée un peu de la grâce d’un Pascal Garnier. C’est efficace, sombre et drôle à la fois, émouvant. Sur les arpents du roman noir et du roman populaire, Guillaume Guéraud distille avec sobriété ce léger supplément d’âme qui fait la différence.  Un petit rien qui compte beaucoup et que l’on cherche parfois longtemps dans certaines œuvres se revendiquant des hautes sphères de la littérature…

(Cet article peut également être lu sur Culturopoing)
















Guillaume Guéraud, Baignade surveillée. Editions du Rouergue. 2014.



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