Bien sûr, on aurait pu rêver
meilleure passeuse que Marcela Iacub (présentée ici
de manière aussi racoleuse que discutable comme une «personnalité
incontournable du paysage intellectuel français») pour nous inviter à la
lecture d’un texte comme celui-ci… D’autant qu’elle semble avoir si peu à en
dire, que sa seule légitimité à le préfacer semble résider dans l’adjectif
«sulfureux» qui le qualifierait d’abord aux yeux de l’éditeur. Pas besoin de se creuser trop longtemps les méninges médiatiques pour décrypter le message : un
écrivain «sulfureux» nous exhorte à lire une œuvre «sulfureuse».
Bref, c’est «chaud-la-braise»…
Ces réserves mises à part, on ne
se plaindra pas de voir réédités les Episodes
de la vie des mantes religieuses de Louis Calaferte, un texte paru pour la
première fois en 1976 et qui nous surprend encore aujourd’hui par sa violence
poignante, sa crudité et sa poésie.
Il est rare de trouver des textes
à la fois hybrides quant à leurs sources pressenties et qui semblent
pourtant échappés à ce point de la même note. Une note continue, obsédante et
qui ressasse en autant de fragments épars le désir et la mort, la violence et
la volupté.
Souvenirs, fantasmes, cauchemars
gravés dans la mémoire, images coup-de-poing, détails minuscules et acérés, les
Episodes de Calaferte ressemblent à
des notes survivantes, des notes arrachées à mille carnets broyés. La longue
scène des jours est passée ici au tamis du sexe et de l’effroi. Des bribes de
vie, des fragments, de courts dialogues retenus pour ce qu’ils ont à dire du
corps désirant, au plus près, bien souvent, du corps mourant, recomposent un
paysage brut et essentiel.
Et ce sont ici les femmes qui
ouvrent grand les portes de ce paysage. Femmes-amantes, femmes-mères,
femmes-putains – femmes dévorantes ou dévorées. Autant de femmes vécues,
rencontrées. Toutes circulent, se bousculent, s’entremêlent et se superposent
dans une série de tableaux qui ressassent sans cesse le désir et le vide qui
l’habite. Elles ne sont souvent désignées (quand elles le sont) que par
l’initiale de leur nom et il n’est pas rare qu’une scène entamée avec l’une se
prolonge ou s’achève avec une autre, sans que cette permutation ne soit
autrement signalée.
Ce manque apparent d’aménité
produit pourtant un effet inattendu. On est à des années-lumière du tableau de
chasse, qui lui, au contraire, épingle, additionne, classe et répertorie. Isole
pour accumuler. Ici les femmes ont peu de contours, elles se confondent. Mais
elles ne servent jamais de faire-valoir. Les pauses de la mère rappellent
parfois celle de la putain. La femme d’un soir rejoint souvent celle d’une vie,
dans une sorte de collage porno-poétique qui produit, à la longue, un effet de
vertige. Le sexe, ressassé et décliné à l’envi, absorbe tout sur son passage
mais la substance même de ce qu’il désigne demeure toujours insaisissable.
Evoluant aux antipodes d’un donjuanisme
vibrionnant, Calaferte semble au contraire vouloir «parler» les
femmes de l’intérieur, habiter leur désir. Pari impossible, sans doute, et parjure - préfigurant déjà la Mécanique
des femmes, qui paraîtra seize ans plus tard…
La mort rôde elle aussi bien
souvent dans ce périmètre. Fantasmes de meurtre, faits divers funèbres, visions
de femmes assassinées, souvenirs de la mort du père de la compagne de l’auteur
(D…) s’enchâssent entre les scènes de sexe, comme pour en éclairer l’autre
versant.
Il y a dans ces pages quelque
chose d’intense et de poisseux qui nous attrape, nous touche et finalement ne
nous lâche plus. Quelque chose qui nous parle, sous l’envers du décor, de notre
vibrante et désolante humanité. L’écriture de Calaferte, d’un style parfois
télégraphique, forte et sans esthétisme, n’en finit plus de se chercher et de
se perdre dans le jeu du sexe et de la mort.
Louis Calaferte, Épisodes de la vie des mantes religieuses. Editions Denoël. 2014.
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