mercredi 2 novembre 2016

> Agratignures

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Il m’aura fallu attendre l’été 2016 pour ouvrir enfin un livre de Jean-Marc Agrati. Mais il n’est jamais trop tard pour les homards… Car il est question de leur apocalypse dans ce recueil de Nouvelles & shots paru en 2011 chez Dystopia.  Beau chemin, plein de ronces et de sèves fortes dans ces 84 histoires, -bulles de venin, coups de griffe, éclats de rire trash, tirs à bout portant, fantasqueries mélancoliques ou vitriolées,  prouts monstrueux, poèmes en prose à la hache, diableries scatologiques, dialogues au-delà de l’absurde… C’est selon.




Il faudrait imaginer un cocktail dans lequel entreraient Brautigan, Bukowsky, le Houellebecq d’Extension du domaine de la lutte, un brin de Savitskaya, une goutte de Vuillemin

Mais non, ce n’est pas ça. 

C’est quoi, alors ?

Je ne sais pas : tout d’abord une liberté totale, une liberté qui n’a pas peur de se faire peur et de nous faire peur, qui n’hésite pas à transformer  en sketch  l’horreur la plus intime ( lisez « Solitude lavable »), qui vibrionne du réalisme le plus crasseux aux excroissances onirico-fantastiques les plus désopilantes, qui nous promène de fontaines à étrons suceurs de femmes en succursales d’entreprises ou en entrepôts de supermarché en passant par l’Afrique, l’Enfer et le Paradis…


S’il fallait s’amuser, comme on fait à l’école, à imaginer un autre titre pour ce livre, je proposerais de tordre légèrement le cou au titre houellebecquien évoqué plus haut et je dirais : Extension du domaine de la pornographie. C’est ça, Agrati, en un paragraphe ou en quelques pages,  pornographise tout ce qui n’est pas encore porno, ou plutôt, tout ce que nous voyons mal. Il révèle la pornographie des anges, du sucre, de la peur, des cauchemars, des sous-marins, des mouches et de la bureautique… Piquées philosophiques sans parachute, saynètes bucoliques trempées dans le cyanure, traînées de poudre sur fond de petits matins croquignolets, remugles de toutes les violences… Qu’il y ait une chute ou qu’il n’y en ait pas, on se fait toujours un peu mal quelque part. C’est noir, noir et hilarant. Miraculeux : on essaierait mille fois, on se planterait à chaque fois. La grâce, quoi.


Allez, plouf, plouf, plouf, au hasard :


« On agrège des obèses et ça fait des canapés. Ils peuvent être féminins, masculins ou mixtes, il y en a pour tous les goûts.
On se vautre dedans. Des cuisses font accoudoir et on n’est jamais trop loin d’une bouche ou d’un cul. La réactivité et le niveeau d’incitation du canapé sont régulés dans la forge des tempéraments. Les canapés peuvent être avides, amorphes ou caresseurs. On a le spectre des tous les comportements possibles.
Il y a aussi une causeuse fabriquée avec de jeunes agrégées. Elles sont jolies et on a toutes les sciences molles. Art, philo, histoire et littérature, socio et anthropo. Juste à côté, un agrégat de gars techniques forme un pouf. C’est un peu inconfortable, mais si on cale bien ses fesses, ça marche.
Et donc, on a un salon. Maintenant, c’est le concert des meubles. »
(Le concert des meubles, page 88)

Encore un ?

Encore un.

« - Tu as peur ?
Oui. Je ne vois pas comment ne pas avoir peur quand la moindre tribu te cloue au poteau, quand la moindre amitié ou le moindre amour se désosse jusqu’à l’art de l’avantage et quand tout n’est qu’échange. Je ne vois pas comment ne pas avoir les yeux surpris d’un lapin écorché.
Ou alors, t’es un riche marchand portugais, tu emportes tes biens, ta culture, et t’as les armées qui te précèdent. Tu n’es surpris de rien, tu sais ce qui compte. Tu deviens l’inverse du lapin, en quelque sorte. 
» (L’inverse du lapin, page 147) 


Le homard agratien peut se déguster en toutes saisons…















Jean-Marc Agrati, L’apocalypse des homards. Dystopia. 2011.





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