Il m’aura fallu attendre l’été
2016 pour ouvrir enfin un livre de Jean-Marc Agrati. Mais il n’est jamais trop
tard pour les homards… Car il est question de leur apocalypse dans ce recueil de
Nouvelles & shots paru en 2011 chez Dystopia. Beau chemin, plein de ronces et de sèves
fortes dans ces 84 histoires, -bulles de venin, coups de griffe, éclats de rire
trash, tirs à bout portant, fantasqueries mélancoliques ou vitriolées, prouts monstrueux, poèmes en prose à la
hache, diableries scatologiques, dialogues au-delà de l’absurde… C’est selon.
Il faudrait imaginer un cocktail
dans lequel entreraient Brautigan, Bukowsky, le Houellebecq d’Extension du
domaine de la lutte, un brin de Savitskaya,
une goutte de Vuillemin…
Mais non, ce n’est pas ça.
Mais non, ce n’est pas ça.
C’est quoi, alors ?
Je ne sais pas : tout
d’abord une liberté totale, une liberté qui n’a pas peur de se faire peur et de
nous faire peur, qui n’hésite pas à transformer
en sketch l’horreur la plus
intime ( lisez « Solitude lavable »),
qui vibrionne du réalisme le plus crasseux aux excroissances
onirico-fantastiques les plus désopilantes, qui nous promène de fontaines à
étrons suceurs de femmes en succursales d’entreprises ou en entrepôts de
supermarché en passant par l’Afrique, l’Enfer et le Paradis…
S’il fallait s’amuser, comme on
fait à l’école, à imaginer un autre titre pour ce livre, je proposerais de
tordre légèrement le cou au titre houellebecquien évoqué plus haut et je dirais
: Extension du domaine de la pornographie.
C’est ça, Agrati, en un paragraphe ou en quelques pages, pornographise tout ce qui n’est pas encore
porno, ou plutôt, tout ce que nous voyons mal. Il révèle la pornographie des
anges, du sucre, de la peur, des cauchemars, des sous-marins, des mouches et de
la bureautique… Piquées philosophiques sans parachute, saynètes bucoliques
trempées dans le cyanure, traînées de poudre sur fond de petits matins
croquignolets, remugles de toutes les violences… Qu’il y ait une chute ou qu’il
n’y en ait pas, on se fait toujours un peu mal quelque part. C’est noir, noir
et hilarant. Miraculeux : on essaierait mille fois, on se planterait à
chaque fois. La grâce, quoi.
Allez, plouf, plouf, plouf, au
hasard :
« On agrège des obèses et ça fait des canapés. Ils peuvent être
féminins, masculins ou mixtes, il y en a pour tous les goûts.
On se vautre dedans. Des cuisses font accoudoir et on n’est jamais trop loin d’une bouche ou d’un cul. La réactivité et le niveeau d’incitation du canapé sont régulés dans la forge des tempéraments. Les canapés peuvent être avides, amorphes ou caresseurs. On a le spectre des tous les comportements possibles.
Il y a aussi une causeuse fabriquée avec de jeunes agrégées. Elles sont jolies et on a toutes les sciences molles. Art, philo, histoire et littérature, socio et anthropo. Juste à côté, un agrégat de gars techniques forme un pouf. C’est un peu inconfortable, mais si on cale bien ses fesses, ça marche.
On se vautre dedans. Des cuisses font accoudoir et on n’est jamais trop loin d’une bouche ou d’un cul. La réactivité et le niveeau d’incitation du canapé sont régulés dans la forge des tempéraments. Les canapés peuvent être avides, amorphes ou caresseurs. On a le spectre des tous les comportements possibles.
Il y a aussi une causeuse fabriquée avec de jeunes agrégées. Elles sont jolies et on a toutes les sciences molles. Art, philo, histoire et littérature, socio et anthropo. Juste à côté, un agrégat de gars techniques forme un pouf. C’est un peu inconfortable, mais si on cale bien ses fesses, ça marche.
Et donc, on a un salon. Maintenant, c’est le concert des
meubles. »
(Le concert des meubles, page 88)
(Le concert des meubles, page 88)
Encore un ?
Encore un.
« - Tu as peur ?
Oui. Je ne vois pas comment ne pas avoir peur quand la moindre tribu te cloue au poteau, quand la moindre amitié ou le moindre amour se désosse jusqu’à l’art de l’avantage et quand tout n’est qu’échange. Je ne vois pas comment ne pas avoir les yeux surpris d’un lapin écorché.
Ou alors, t’es un riche marchand portugais, tu emportes tes biens, ta culture, et t’as les armées qui te précèdent. Tu n’es surpris de rien, tu sais ce qui compte. Tu deviens l’inverse du lapin, en quelque sorte. » (L’inverse du lapin, page 147)
Oui. Je ne vois pas comment ne pas avoir peur quand la moindre tribu te cloue au poteau, quand la moindre amitié ou le moindre amour se désosse jusqu’à l’art de l’avantage et quand tout n’est qu’échange. Je ne vois pas comment ne pas avoir les yeux surpris d’un lapin écorché.
Ou alors, t’es un riche marchand portugais, tu emportes tes biens, ta culture, et t’as les armées qui te précèdent. Tu n’es surpris de rien, tu sais ce qui compte. Tu deviens l’inverse du lapin, en quelque sorte. » (L’inverse du lapin, page 147)
Le homard agratien peut se
déguster en toutes saisons…
Jean-Marc Agrati, L’apocalypse des homards. Dystopia.
2011.
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